October 28, 2011

Toujours la question de la responsabilité des registres et registrars

Inversion des rôles dans le couple franco-allemand du droit des noms de domaine ? En Allemagne, les juridictions sont habituellement plus favorables aux acteurs des noms de domaine que leurs homologues françaises. On ne compte plus, par exemple, le nombre de jugements gagnés par Sedo outre-Rhin, alors qu'on les cherche en France. Des investisseurs allemands en noms de domaine sont allés jusque devant la Cour Européenne des Droits de l'Homme, alors qu'ils préfèrent faire profil bas en France. S'il fallait des facteurs d'explication, on pourrait peut-être les chercher du côté du tropisme "naturel" des juges, et aussi de l'ampleur respective des marchés (13 millions de noms en .de, 2 millions en .fr).

Alors qu'il y a quelques jours la cour d'appel de Versailles a jugé que le registre ne peut être tenu responsable si un enregistrement illicite a été effectué dans l'espace qu'il gère, voici que le Bundesgerichtshof, soit la plus haute instance allemande, est allé en sens inverse - ou presque !
Dans une affaire relative au nom regierung-oberfranken.de (I ZR 131/10), les juges ont estimé que le registre local, DENIC, a l'obligation d'annuler l'enregistrement d'un nom de domaine s'il est établi que la violation du droit est évidente et vérifiable sans qu'il soit besoin de chercher des informations supplémentaires ("Die DENIC eG muss eine ihr bekannt gegebene rechtsverletzende Domainregistrierung löschen, wenn die Rechtsverletzung offenkundig und ohne weiteres für sie feststellbar ist").

Question : comment un registre (ou un registrar) peut-il identifier un nom violant manifestement un droit ? Car à l'impossible nul n'est tenu !

Imaginons le cas pratique suivant : nous sommes en France en décembre 2011, le .fr vient de s'ouvrir aux ressortissants européens. Un gallois veut enregistrer conas.fr, qui signifie "comment" dans sa langue, le gaëlique. Admettons que "conas" (mot dans lequel on prononce le s...) soit considéré comme contraire à l'ordre public en France parce qu'injurieux. Tenons compte aussi de l'existence d'une marque française CONAS. Faut-il considérer que l'enregistrement viole l'ordre public, ou un droit de propriété intellectuelle, alors qu'il s'agit d'un terme banal dans la langue de la personne qui l'enregistre ?
Sans connaissance de paramètres tels que la langue ou la nationalité du demandeur de nom de domaine, l'utilisation qu'il compte en faire et sur quel marché (= territoire), il n'est pas possible pour un intermédiaire en noms de domaine d'appliquer la loi. Il ne peut donc être responsable d'une carence.

[Source]

October 24, 2011

Proposition de loi tendant à protéger le nom des communes et des territoires

Il n’existe pas de droit sur les noms de collectivités territoriales (art. L. 2111-1 et R. 2111-1 du code général des collectivités territoriales).* Cela étonne souvent les élus, mais la règle est de bon sens : le nom des villes et villages est d'abord une désignation géographique commune à tous. Son utilisation est nécessaire dans l'activité politique ou économique, ce qui justifie l'absence de droit privatif.
L'affaire Elancourt avait ainsi illustré la nécessité de pouvoir parler de la ville et de l'action municipale sans en être empêché par un droit de propriété intellectuelle. La liberté de mentionner le lieu d'exercice d'une activité économique fut reconnue par la Cour de cassation, qui jugea que la présence du nom géographique Baccarat dans les marques de la société 'Compagnie des Cristalleries de Baccarat' n'interdisait pas à une entreprise concurrente ayant son siège social dans cette ville de l'utiliser comme adresse (Cass. com., 17 mai 1982). Aller dans le sens d'une reconnaissance des collectivités à un droit sur le nom reviendrait à mettre celles-ci en porte-à-faux avec les activités des personnes physiques et morales présentes sur leur territoire.
Pourtant, une proposition de loi (n° 2882) vient d'être déposée à l'Assemblée Nationale en ce sens, que son auteur justifie ainsi : "Les collectivités territoriales ont droit à la protection de l’ensemble des éléments de leur statut, et en particulier de leur nom" - justification qui n'est qu'un postulat, n'étant pas démontré d'où naîtrait un tel "droit".
L'exposé des motifs de la proposition de loi indique plus loin : "la protection des droits des collectivités territoriales sur ces éléments de leur statut doit faire l’objet de dispositions spécifiquement consacrées par le droit public et non traitées au détour de dispositions relevant du code de propriété intellectuelle ou du code des postes et communications électroniques". Référence est ainsi faite à la protection que les collectivités ont pu avoir de leur désignation en tant que nom de domaine. Aussi est-il proposé que soit adopté un nouvel article dans le code général des collectivités territoriales, qui serait libellé ainsi : « Les communes, les départements et les régions bénéficient d’une disponibilité pleine et entière de leur dénomination et peuvent en faire librement usage dans le cadre de l’exercice des missions de service public qu’elles assurent ».
On voit mal ce que signifie "disponibilité" :
- soit il s'agit d'exclure toute autre personne de la possibilité de déposer ou d'enregistrer ce nom sous quelque forme que ce soit - et dans ce cas cette proposition n'a pas de sens ;
- soit il s'agit de permettre aux communes de pouvoir utiliser leur nom sans courir le risque de se le voir reprocher par un tiers - ce qui est déjà le cas : le droit n'a donc pas besoin d'être changé !

* pour une application, voir par exemple la décision 4204 du 20 juillet 2007 rendue par l’Arbitration Center for .EU Disputes à propos du nom 92.eu


[merci à Marc pour l'info]

October 23, 2011

Des chambres à air aux chambres des tribunaux

Il va peut-être falloir ouvrir sur ce blog une rubrique entièrement dédiée au contentieux "pneu-online".

Désireuse d'obtenir le transfert à son profit des noms pneu-online.com, pneuonline.com et pneusonline.com, la société suisse Pneus-Online avait attaqué la société allemande Delticom devant le Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'OMPI en 2006. Sans succès.
Elle s'en fut donc tenter sa chance ailleurs : tribunal de commerce de Lyon (16 décembre 2005), puis Cour d'Appel de Lyon (31 janvier 2008), et Cour de cassation (9 mars 2010). Elle obtint gain de cause sur divers aspects mais pas sur le transfert des noms de domaine.

Elle retraversa le Lac Léman pour faire entendre devant les juridictions suisses que Delticom ne peut exploiter les noms pneus-online.ch, pneu-online.ch, pneusonline.ch et pneuonline.ch. Comme ses cousines françaises, la Cour de Justice du Canton de Genève interdit à Delticom d'utiliser ces noms de domaine en relation directe ou indirecte avec la vente de pneumatiques (12 février 2010). Le Tribunal Fédéral de Lausanne a confirmé cette décision (19 juillet 2010). Quelques mois plus tard, le Centre d'Arbitrage et de Médiation de l'OMPI accorda à Pneus-Online ce qu'elle n'avait pas obtenu des juges de son pays : le transfert de ces quatre noms en .ch (12 décembre 2010). Elle avait déjà tenté la même action, mais sans succès, deux ans plus tôt (3 septembre 2008).


Parallèlement, en Allemagne, le Landgericht München a débouté  le 3 février 2009 puis le 12 novembre 2009 la société suisse de son action en radiation de la marque PNEUSONLINE.COM (n° DE 306 008 09) déposée par Delticom en 2006.

Toujours dans le but de mettre la main sur les noms de domaine en .com, la société à l'origine de toutes ces procédures a engagé une nouvelle procédure UDRP, et vient d'essuyer un nouvel échec.

Cela fait donc à ce jour 3 décisions judiciaires connues en France, 2 en Allemagne, 2 en Suisse, et 4 procédures alternatives dont 2 UDRP. C'est dire si les adversaires sont gonflés à bloc !



October 18, 2011

L'office d'enregistrement du .fr n'est pas responsable de l'usage fait des noms de domaine en .fr

Quand un nom de domaine est enregistré, c'est qu'il a été alloué par un regIstre, le plus souvent via un registrar. Parce qu'ils sont intervenus dans la création du nom, et que de fait ils en permettent l'existence, peut-on engager leur responsabilité si ce nom est, par exemple, contrefaisants ? La cour d'appel de Versailles a répondu par la négative, et elle a bien fait ! Mes commentaires sur un arrêt du 15 septembre 2011, à lire aujourd'hui sur Dalloz.fr.

October 13, 2011

Trois récentes décisions UDRP

1.
Début 2011, les douanes américaines ont saisi des noms de domaine donnant accès à des sites accusés de violer le copyright, dont rojadirecta.com. Il a ensuite été allégué que la saisie de ce nom de domaine, sans notification préalable au titulaire, revient à fermer un canal d'expression, de façon non contradictoire, et ce alors même que le nom de domaine n'est pas irrégulier en lui-même. La justice américaine a pour l'heure confirmé la saisie.
La société Puerto 80, titulaire du nom rojadirecta.com, a suite à cela enregistré d'autres noms de domaine plus ou moins proches de celui qui a été neutralisé. Parallèlement, elle a attaqué en UDRP devant l'Arbitration Center for Internet Disputes une société Publistyle qui détient les noms tarjetarojadirecta.net et tarjetaroja.info. Selon la société américaine requérante, il existerait un risque de confusion entre ces noms et sa marque, augmenté par l'attention médiatique portée à son contentieux aux Etats-Unis et son effet sur le référencement de ces noms de domaine sur la version espagnole de Google. Le centre d'arbitrage a rejeté la demande (n° 100309).

2.
De son côté, devant le National Arbitration Forum, Google cherchait à récupérer les noms de domaine goggle.com, goggle.net et goggle.org. Une première procédure UDRP avait déjà été engagée, qui s'était terminée par la signature d'une transaction, confidentielle, et non par une décision. Les noms auraient postérieurement été transférés à une autre entité, et utilisés d'une manière qui viole cet accord.
Le défendeur réplique qu'il a repris ces noms dans le respect de cet accord, qu'il qualifie de contrat de coexistence (et produit devant les arbitres). Il soutient donc qu'il n'est pas de mauvaise foi.
Les arbitres considèrent qu'un tel litige ne relève pas de leur compétence : les cas UDRP qu'ils peuvent trancher doivent être simples, autrement dit consister en un enregistrement et une utilisation abusifs d'un nom de domaine. Dans le contexte de cette affaire, il ne leur appartient pas de se prononcer (n° 1403690).

3.
Une nouvelle affaire pagesjaunes.com !! Il devient difficile de résumer le contentieux entre le groupe français et l'exploitant du nom basé aux Etats-Unis. L'affaire a été portée devant les tribunaux français, les juridictions communautaires... et connaît ici une sorte de "retour aux sources".
En août 2000, il fut jugé par le centre d'arbitrage et de médiation de l'OMPI à propos de pagesjaunes.com et pagesjaunes.net qu'il est nécessaire que les termes descriptifs restent dans le domaine public afin d'éviter les frictions dans la société de l'information (n° D2000-0489). C'est le même centre qui est saisi, 11 ans plus tard, d'un contentieux portant sur ces deux mêmes noms ainsi que pagesjaunes.biz.
Comme il avait été précédemment jugé que les noms n'avaient pas été enregistrés de mauvaise foi, les arbitres parviennent mécaniquement au même constat, car ils statuent sur le même fait (ceci étant, on observera qu'ils se prononcent ainsi à propos des noms en .com et .net, mais ne se prononcent pas spécifiquement sur le .biz qui n'était pourtant pas visé dans la première décision). A noter que les arbitres se réfèrent à la décision précédemment rendue par un tribunal français afin d'apprécier la légitimité de l'exploitation des noms litigieux (n° D2011-1203).