L'affaire démarre de la vente de produits contrefaisants sur divers sites web. La plupart ont des adresses en .com, d'autres des noms de domaine en .be, .dk, .eu, .fr, .ro et .uk. Si un nom de domaine en .fr sert à la commission d'infractions au droit de la propriété intellectuelle, peut-il être saisi comme un véhicule qui passerait des faux sacs à main à la frontière franco-italienne ? Les autorités françaises viennent de répondre OUI.
Participant à une action conjointe avec l'I.C.E. (les Douanes américaines), Europol et d'homologues d'autres d'Etats européens, les autorités françaises ont saisi un ou plusieurs noms de domaine en .fr. Le nombre n'est pas connu (on sait simplement que cela représente 31 noms hors Etats-Unis), pas plus que d'autres détails... ce qui ne laisse pas d'intriguer - ou d'inquiéter !
Reprenons : l'administration américaine a choisi depuis quelque temps le vecteur des noms de domaine pour bouter hors du web des activités illicites (musique en ligne, casinos, streaming d'épreuves sportives...). Sa capacité juridique à le faire reste pourtant à établir... Par deux fois en effet, deux noms de domaine qu'elle a fait saisir ont été restitués à leur ancien titulaire, sans motif ni excuse (il s'agit des noms dajaz1.com et rojadirecta.com).
Cette fois - et c'est visiblement la première fois -, elle va plus loin et invite des cousines à l'accompagner dans l'opération. Ce qui a donc été accepté en France. Par qui ? Le communiqué de l'I.C.E., seule source depuis hier (sachant que l'I.C.E. n'est jamais bavarde sur ses raids), ne le dit pas. S'agit-il des Douanes ?
La réponse à cette question permettrait aussi d'identifier le fondement juridique sur lequel la saisie a été opérée. S'il s'agit des Douanes, se pose la question de savoir si les noms de domaine entrent dans le champ d'action de cette administration. Car a priori elles ne peuvent saisir que des "objets" ou des "marchandises", et les noms de domaine n'en sont pas ! Lecture extensive, ou erronée ? (cela étant dit, je ne suis pas un spécialiste du Code des Douanes et serais heureux d'avoir des éclaircissements) Ou autre texte que le Code des Douanes ?
Connaître le fondement juridique permettrait tout simplement de pouvoir apprécier... la légalité même de la saisie d'un nom de domaine associé à la vente de produits contrefaisants.
Car on peut douter que saisir un tel nom de domaine soit une mesure proportionnée ou efficace !
S'agissant de l'efficacité, la page à laquelle conduisait le nom reste normalement accessible à qui connaît l'adresse IP de celle-ci. Certes, on pourra objecter qu'y accéder n'est pas à la portée du premier venu, et observer que le communiqué de l'I.C.E. évoque des internautes qui ne se doutaient pas qu'ils avaient à faire à un site de contrefaçon (comprendre : ils ne sont pas bien malins !).
S'agissant de la proportionnalité de la mesure (mais dans de tels raids s'embarrasse-t-on de proportionnalité ?), se pose la question de l'articulation entre son effet et sa cause. Saisir un nom de domaine empêche de pouvoir l'utiliser à l'échelle du globe... alors que la violation de droits de propriété intellectuelle se constate au regard du droit d'un Etat en particulier. Autrement dit :
- si le nom en .fr était utilisé en langue anglaise, se pose, au vu de la jurisprudence dégagée en droit de l'internet, la question de la compétence territoriale des autorités françaises pour intervenir,
- et si ce nom était utilisé en français et destiné au public de France, on espère que ce n'est pas seulement parce qu'il y avait constat de violation du droit aux (seuls) Etats-Unis qu'on a procédé à sa saisie ! Sinon, cela signifierait que les pouvoirs publics participent sciemment à l'application d'un droit étranger à l'intérieur des frontières françaises.
[MAJ, 3 h après la première publication : le DG de l'AFNIC indique sur Twitter que le(s) nom(s) en .fr n'ont pas été saisis au niveau du registre. L'ICANN renvoyant à ses délégataires en cas de saisies, c'est donc que celle relative au(x) nom(s) français s'est faite au niveau inférieur, celui du registrar. Dans l'hypothèse où ce registrar n'est pas établi en France, les autorités françaises n'auraient pas été mobilisées, ce qui remettrait en cause une partie de ce que j'ai écrit ci-dessus]
[MAJ, 11/12/12 : voici une liste de quelques uns des noms saisis (avec remerciement appuyés à ma source) : hermesborse.eu, longchamppliagesac.eu, sachermesbirkinpascher.eu, buyhermesbirkinaustralia.eu, nikeatalon.eu, sarenzalando.eu, chaussurevogue.eu, louboutinpascherfrancesoldes.eu, buy-replica.eu, femmechristianlouboutin.eu, eshopreplica.eu, chaussuresfoot.be]
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