November 27, 2012

Première saisie de nom(s) de domaine en France, premières questions

L'info est encore passée inaperçue et pourtant elle est de taille : les autorités françaises procèdent à des saisies de noms de domaine !

L'affaire démarre de la vente de produits contrefaisants sur divers sites web. La plupart ont des adresses en .com, d'autres des noms de domaine en .be, .dk, .eu, .fr, .ro et .uk. Si un nom de domaine en .fr sert à la commission d'infractions au droit de la propriété intellectuelle, peut-il être saisi comme un véhicule qui passerait des faux sacs à main à la frontière franco-italienne ? Les autorités françaises viennent de répondre OUI.

Participant à une action conjointe avec l'I.C.E. (les Douanes américaines), Europol et d'homologues d'autres d'Etats européens, les autorités françaises ont saisi un ou plusieurs noms de domaine en .fr. Le nombre n'est pas connu (on sait simplement que cela représente 31 noms hors Etats-Unis), pas plus que d'autres détails... ce qui ne laisse pas d'intriguer - ou d'inquiéter !

Reprenons : l'administration américaine a choisi depuis quelque temps le vecteur des noms de domaine pour bouter hors du web des activités illicites (musique en ligne, casinos, streaming d'épreuves sportives...). Sa capacité juridique à le faire reste pourtant à établir... Par deux fois en effet, deux noms de domaine qu'elle a fait saisir ont été restitués à leur ancien titulaire, sans motif ni excuse (il s'agit des noms dajaz1.com et rojadirecta.com).

Cette fois - et c'est visiblement la première fois -, elle va plus loin et invite des cousines à l'accompagner dans l'opération. Ce qui a donc été accepté en France. Par qui ? Le communiqué de l'I.C.E., seule source depuis hier (sachant que l'I.C.E. n'est jamais bavarde sur ses raids), ne le dit pas. S'agit-il des Douanes ?

La réponse à cette question permettrait aussi d'identifier le fondement juridique sur lequel la saisie a été opérée. S'il s'agit des Douanes, se pose la question de savoir si les noms de domaine entrent dans le champ d'action de cette administration. Car a priori elles ne peuvent saisir que des "objets" ou des "marchandises", et les noms de domaine n'en sont pas ! Lecture extensive, ou erronée ? (cela étant dit, je ne suis pas un spécialiste du Code des Douanes et serais heureux d'avoir des éclaircissements) Ou autre texte que le Code des Douanes ?
Connaître le fondement juridique permettrait tout simplement de pouvoir apprécier... la légalité même de la saisie d'un nom de domaine associé à la vente de produits contrefaisants.

Car on peut douter que saisir un tel nom de domaine soit une mesure proportionnée ou efficace !

S'agissant de l'efficacité, la page à laquelle conduisait le nom reste normalement accessible à qui connaît l'adresse IP de celle-ci. Certes, on pourra objecter qu'y accéder n'est pas à la portée du premier venu, et observer que le communiqué de l'I.C.E. évoque des internautes qui ne se doutaient pas qu'ils avaient à faire à un site de contrefaçon (comprendre : ils ne sont pas bien malins !).

S'agissant de la proportionnalité de la mesure (mais dans de tels raids s'embarrasse-t-on de proportionnalité ?), se pose la question de l'articulation entre son effet et sa cause. Saisir un nom de domaine empêche de pouvoir l'utiliser à l'échelle du globe... alors que la violation de droits de propriété intellectuelle se constate au regard du droit d'un Etat en particulier. Autrement dit :

  • si le nom en .fr était utilisé en langue anglaise, se pose, au vu de la jurisprudence dégagée en droit de l'internet, la question de la compétence territoriale des autorités françaises pour intervenir,
  • et si ce nom était utilisé en français et destiné au public de France, on espère que ce n'est pas seulement parce qu'il y avait constat de violation du droit aux (seuls) Etats-Unis qu'on a procédé à sa saisie ! Sinon, cela signifierait que les pouvoirs publics participent sciemment à l'application d'un droit étranger à l'intérieur des frontières françaises.

[MAJ, 3 h après la première publication : le DG de l'AFNIC indique sur Twitter que le(s) nom(s) en .fr n'ont pas été saisis au niveau du registre. L'ICANN renvoyant à ses délégataires en cas de saisies, c'est donc que celle relative au(x) nom(s) français s'est faite au niveau inférieur, celui du registrar. Dans l'hypothèse où ce registrar n'est pas établi en France, les autorités françaises n'auraient pas été mobilisées, ce qui remettrait en cause une partie de ce que j'ai écrit ci-dessus]

[MAJ, 11/12/12 : voici une liste de quelques uns des noms saisis (avec remerciement appuyés à ma source) : hermesborse.eu, longchamppliagesac.eu, sachermesbirkinpascher.eu, buyhermesbirkinaustralia.eu, nikeatalon.eu, sarenzalando.eu, chaussurevogue.eu, louboutinpascherfrancesoldes.eu, buy-replica.eu, femmechristianlouboutin.eu, eshopreplica.eu, chaussuresfoot.be]


November 26, 2012

Noms de domaine : un droit en mouvement (Paris, 12 décembre)



Le 12.12.2012, la Commission Ouverte Propriété Intellectuelle du Barreau de Paris consacrera sa réunion aux noms de domaine et leur droit étrange. Si vous avez essayé de vous inscrire, cela vous a peut-être été refusé, faute de place.
Bonne nouvelle : devant l'affluence, l'Ordre des Avocats a libéré l'auditorium de la Maison du Barreau afin de pouvoir accueillir plus de monde !
Pour vous inscrire, cliquez sur l'affiche ou ici.

November 07, 2012

Vente aux enchères de noms de domaine

Il fut une époque où il suffisait (presque) de se baisser pour récupérer les noms de domaine. C'était après l'explosion de la bulle internet, aux Etats-Unis, quand les noms de domaine expiraient après les banqueroutes multiples d'entreprises surcotées.
S'il est encore trop tôt pour y voir un frémissement des activités numériques, voici que l'on observe en France plusieurs ventes aux enchères de noms de domaine.

Placée en liquidation judiciaire fin 2010, la firme Vogica vit ses actifs immatériels mis aux enchères. C'est ainsi que les noms de domaine vogica.com et vogica.fr furent revendus dans un lot incluant aussi des marques.

Dans une semaine, une série de noms de domaine des sociétés Groupe Matelsom et Heuliez seront à leur tour mis aux enchères (dans les locaux de l'UNIFAB). Dans les lots, on trouve :
- meuble-discount.fr, meubles-discount.fr, mobilier-discount.com, canapes-discount.com
maison-et-literie.com, meuble-et-literie.com, mobilier-et-literie.com, mobilierliterie.com, mobilier-literie.com, destockliterie.com, destock-literie.com
paris-literie.com, paris-literie.fr, paris-matelas.com, paris-matelas.fr
france-matelas.com, matelas.net, matelas.org, imatelas.com, 01matelas.com, 0800matelas.com, 0800-matelas.com
securepaiement.com, securepaiement.net, securepaiement.org
service-livraison.com, service-logistique.com,
rapidlit.com, rapidlits.com

Et dans un mois, il sera aussi possible d'enchérir sur les noms parapharmacie.fr et parapharmacies.fr (cette fois à Tours). La mise à prix est de 50.000 €. On lira avec intérêt l'argumentaire commercial déployé à l'occasion de cette vente, qui témoigne de ce que la compréhension de la valeur de noms de domaine commence à toucher le grand public.

Et si l'on est un peu goguenard, on s'étonnera de ce que personne n'a encore jamais évoqué, en matière de noms de domaine, la responsabilité des intermédiaires de courtage "physiques" que sont les commissaires-priseurs, alors pourtant que les places de marché en ligne faisant ce métier ont elles déjà été poursuivies en justice...