August 18, 2011

Décret noms de domaine du 3 août 2011 : (4) enregistrements de noms de domaine

[billets précédents :

L'article L. 45-2 2° et 3° du code des postes et des communications électroniques prévoit que l'enregistrement de noms de domaine français peut être refusé quand le nom est susceptible d'entrer en conflit avec certains signes préexistants. Ces mêmes dispositions prévoient la possible suppression de tels noms. Dans les deux cas, le garde-fou est la démonstration d'un intérêt légitime et de la bonne foi de celui qui détient le nom de domaine.

Cette condition n'est pas uniquement requise pour les noms de domaine qui faisaient naguère partie de la liste des termes fondamentaux ou réservés. Toutefois, une procédure spécifique a été mise en place pour l'enregistrement de ces termes, afin de vérifier de manière systématique l'existence de l'intérêt légitime et de la bonne foi (un traitement particulier dont on pourrait imaginer qu'il rejaillisse sur le registre si un tiers cherchait à engager sa responsabilité).

Pour ces demandes de noms autrefois réservés comme pour les autres, le demandeur doit avoir un "intérêt légitime" et "agir de bonne foi". L'article L. 45-1 pose la présomption simple que ces conditions cumulatives existent, en ces termes : "L'enregistrement des noms de domaine s'effectue sur la base des déclarations faites par le demandeur et sous sa responsabilité".

Dans toute occasion où il sera nécessaire de démontrer que ces conditions sont réunies, l'article R. 20-44-43 liste des éléments permettant d'attester que ces critères sont respectés. Il est à noter que la liste fixée par décret n'est pas limitative, l'adverbe "notamment" étant employé


Qu'est-ce que l'intérêt légitime dans les exemples prévus par le texte ? C'est d'abord le fait d'utiliser le nom pour une activité commerciale ("dans le cadre d'une offre de biens et de services"). L'hypothèse ne vise donc que les cas dans lesquels le nom est déjà utilisé, et qu'un tiers en prenne ombrage. Qu'est-ce que cette "offre de biens et de services" ? La question est critique dans le cas d'une personne ayant mis un nom en parking : s'agit-il d'une offre de services ? Dans la mesure où le parking est généralement la mise en oeuvre d'un service automatique fourni par un prestataire spécialisé, on peut en douter, le texte semblant plutôt renvoyer à une offre qui serait le fait du titulaire du nom. A cet égard, le fait que le texte ne vise que ce "titulaire" peut être problématique pour celui qui donne licence d'un nom : c'est alors celui qui a la licence qui l'utilise, et pas le titulaire. Il faut espérer que l'expression "dans le cadre d'une offre" soit interprétée comme s'étendant à l'activité du licencié permise par la location du nom (dans cette hypothèse, l'interprétation du texte est contradictoire avec celle imaginée précédemment pour le parking...).

Dans le cas d'un demandeur de nom qui se verrait requis de justifier de son intérêt légitime (c'est l'hypothèse des demandes visant les ex termes fondamentaux ouverts à l'enregistrement depuis le 1er juillet 2011), il pourra le faire en démontrant qu'il s'est "préparé" à fournir des biens ou des services. Le texte ne prévoit donc que le cas d'un usage du nom propre au titulaire... Quant à la démonstration, elle passera par tout élément de fait : constitutiion d'une société, par exemple. Situation paradoxale, car le nom de domaine devrait toujours être la première démarche d'un projet entrepreneurial : la rareté des noms impose de réserver celui/ceux que l'on veut le plus tôt possible. Comment démontrer qu'existe un intérêt légitime à la date de la demande si l'obtention du nom conditionne le projet que l'on a ? C'est ici qu'il n'est pas inutile de se rappeler que le Conseil Constitutionnel a estimé que la réglementation des noms de domaine doit respecter la liberté d'entreprendre.

On peut encore démontrer que l'on a un intérêt légitime si l'on exploitait déjà un "nom identique ou apparenté". Le même nom dans une autre extension, par exemple. Ou une enseigne : le gérant de la paillote corse "Chez Francis" peut enregistrer chez-francis.fr (en attendant le jour où la Corse aura sa propre extension, bien sûr !). La détention antérieure d'un droit de marque, ou d'autres signes (desquels le décret n'exclut pas le pseudonyme), fait aussi partie des prévisions du texte.

On le voit, toutes ces hypothèses postulent que l'on enregistre un nom à des fins commerciales. Peut-on démontrer un intérêt légitime hors du domaine des affaires ? L'enregistrement est possible si l'on prévoit de "faire un usage non commercial" du nom, dès lors qu'on n'a pas l'intention de tromper le consommateur, ou si on ne cherche pas à porter atteinte ("nuire à la réputation", dit le texte) à un signe protégé. Outre ces interdits, le texte prévoit qu'on doive "faire un usage non commercial" du nom de domaine en question. On observera que le texte revient ici à faire peser sur le demandeur une obligation d'usage non-commercial dès la création du nom.

Qu'est-ce qu'un demandeur ou un titulaire de nom de domaine "de mauvaise foi" ? Le texte décrit trois situations (là aussi non limitatives).

Première hypothèse : "avoir obtenu ou demandé l'enregistrement de ce nom principalement en vue de le vendre, de le louer ou de le transférer de quelque manière que ce soit à un organisme public, à une collectivité locale ou au titulaire d'un nom identique ou apparenté sur lequel un droit est reconnu et non pour l'exploiter effectivement".
On voit bien que cette première hypothèse vise à lutter contre les enregistrements frauduleux. Néanmoins, il est permis de se demander si elle ne pourrait avoir des effets secondaires. Soit un registrar qui pour le compte d'un client cherche à racheter un nom de domaine en .fr. Il ne dit pas qu'il agit pour le compte de son client, de façon à essayer d'avoir le prix le plus faible possible. Une fois la négociation aboutie et le registrar titulaire du nom, il le transfère à son client. Relisez maintenant l'article ci-dessus : à la lettre, il s'applique ! (dans les faits toutefois, de façon générale, le "titulaire d'un droit reconnu" sera le client du registrar...ce qui neutralisera l'application de cet alinéa).

Deuxième hypothèse : "avoir obtenu ou demandé l'enregistrement d'un nom de domaine principalement dans le but de nuire à la réputation du titulaire d'un intérêt légitime ou d'un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou à celle d'un produit ou service assimilé à ce nom dans l'esprit du consommateur".
De cette deuxième hypothèse naît une question : comment la faire coexister avec le droit de critique, reconnu y compris en faveur des consommateurs ? Un juge français avait estimé, par exemple, que jeboycottedanone.com n'est pas contraire au code de la propriété intellectuelle ; devrait-il juger que jeboycottedanone.fr est contraire au code des postes et des communications électroniques ?

La dernière hypothèse vise les parasites : "avoir obtenu ou demandé l'enregistrement d'un nom de domaine principalement dans le but de profiter de la renommée du titulaire d'un intérêt légitime ou d'un droit reconnu sur ce nom ou sur un nom apparenté, ou de celle d'un produit ou service assimilé à ce nom, en créant une confusion dans l'esprit du consommateur".


On observera que, dans son ensemble, le décret est plus léger que les versions qui l'avaient précédé.

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