February 06, 2011

Adwords : ni Google ni les annonceurs ne sont en faute !

Google a été plusieurs fois condamnée, en France, à raison du fonctionnement de son système AdWords. Elle l'a été pour atteinte à une marque notoire, contrefaçon, ou responsabilité civile. Il va falloir s'y habituer désormais : les tribunaux français exonèrent de responsabilité Google quand les annonceurs ont utilisé des marques de concurrents en vue de générer l'affichage de publicités AdWords.

La Cour d'appel de Paris vient de le redire, début février. Renversant un jugement qui avait condamné la régie en 2006, les juges estiment qu'elle n'a pas commis de faute. Mieux encore, elle considère que les annonceurs eux-mêmes ne sont pas fautifs !!!

IES et AUTOIES sont deux marques déposées de la société AutoIes. Quand on tapait "Auto Ies" ou "AutoIes", on pouvait découvrir des publicités pour ces trois annonceurs :
- la société Car Import, concurrente d'AutoIes : toutes deux vendent et achètent des voitures,
- la société Directinfos.com, qui référence divers sites web dans le domaine automobile,
- Pierre B., qui est l'éditeur d'occas.net spécialisé dans la diffusion de petites annonces pour la vente et la location de voitures.

L'usage des marques du demandeur pour déclencher des AdWords porte-t-il atteinte à la fonction essentielle de la marque ? La Cour va examiner si le consommateur est en mesure de déterminer l’identité d’origine du produit ou du service marqué, et de distinguer ce produit ou ce service de ceux qui ont une autre provenance.
Pour ce faire, elle s'appuie sur les arrêts de la C.J.U.E. du 23 mars 2010. Elle rappelle que la juridiction communautaire avait indiqué (au § 83) que la réponse à cette question dépend en particulier de la façon dont l’annonce est présentée. Puis elle cite in extenso les § 89 et § 90 :

Lorsque l’annonce du tiers suggère l’existence d’un lien économique entre ce tiers et le titulaire de la marque, il y aura lieu de conclure qu’il y a atteinte à la fonction d’indication d’origine.
Lorsque l’annonce, tout en ne suggérant pas l’existence d’un lien économique, reste à un tel point vague sur l’origine des produits ou des services en cause qu’un internaute normalement informé et raisonnablement attentif n’est pas en mesure de savoir, sur la base du lien promotionnel et du message commercial qui y est joint, si l’annonceur est un tiers par rapport au titulaire de la marque ou, bien au contraire, économiquement lié à celui-ci, il conviendra également de conclure qu’il y a atteinte à ladite fonction de la marque.
En d'autres termes : l'internaute qui utilise Google, et voit apparaître des pubs pour des services liés à l'automobile, peut-il être amené à penser qu'il s'agit de services proposés par le titulaire de la marque qu'il a saisie pour effectuer sa requête Google ?

Non, a estimé la Cour d'appel de Paris.

Selon elle, l’impression d’ensemble produite par la page de résultats Google, est "que l’internaute raisonnablement attentif est en mesure d’opérer à première vue une discrimination entre les informations classées en colonne de gauche et celles situées en colonne de droite sans que cette faculté ne soit susceptible d’être altérée par le fait que ces informations apparaissent simultanément sur l’écran". Autrement dit, il fait bien la différence entre les résultats naturels et les résultats payants !


Pour ce faire, les juges tiennent compte de la présentation des résultats : reprise des termes de la recherche dans les résultats naturels, séparation par une ligne verticale bleue des résultats payants et "un espace blanc suffisamment large pour être parfaitement perceptible". En outre, ces résultats payants figurent sous le label 'liens commerciaux', dont le juge considère qu'il est d'autant moins équivoque que :

chacun des messages est suivi de l’indication (...) d’un nom de domaine, de telle manière que tout internaute comprend que ce nom de domaine ouvre l’accès au site internet sur lequel sont offerts à la vente les produits ou services promus par l’annonceur ;
Que, ceci étant, rien ne suggère à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif effectuant une recherche au sujet des marques invoquées, l’existence d’un lien économique entre l’annonceur et le titulaire de ces marques ;
Qu’en effet, aucun élément ne vient brouiller, sur le fond, la distinction à laquelle l’internaute a pu, dans la forme, procéder d’emblée entre les résultats naturels et les liens commerciaux
Les juges, très minutieux, observent encore "que la rubrique dédiée aux messages promotionnels est exempte de tout signe constituant une reproduction ou une imitation de la marque objet de la recherche et que, en particulier, les messages, pris en eux-mêmes, se limitent à désigner le produit promu en des termes génériques, “votre voiture” “votre auto” , et à promettre des remises à l’achat de ce produit, et sont ainsi dénués de toute référence explicite ou implicite à la marque".
A la lecture de ce dernier passage, les titulaires de marques que cette décision irrite déjà en découvrant ce billet souffleront un peu : dans le cas où la marque figure dans un AdWord, l'annonceur continue de courir le risque d'être judiciairement sanctionné.

Histoire, peut-être, de fermer définitivement la porte à tout nouveau procès, la cour insiste :
la formule de clôture 'Et pourquoi pas votre propre annonce ?' [qui figure sous les AdWords, NDLA] montre de la manière la plus explicite que la bannière 'Liens commerciaux' est ouverte à tout annonceur sans aucune exclusivité et indique par là-même que les produits et services visés par ces liens ne proviennent pas du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci mais d’un tiers par rapport au titulaire de la marque
Qu’en l’état de ces constatations prises dans leur ensemble, le fait que les liens commerciaux soient affichés en même temps que la marque introduite en tant que critère de la recherche demeure exposée dans la lucarne située en partie haute de l’écran n’est pas de nature, à lui seul, à induire en erreur l’internaute en le portant à croire que les produits ou services promus proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci
Voilà pour le droit des marques : il n'y a pas d'atteinte à la fonction essentielle de la marque. Mutatis mutandis, la cour estime que, dans ces conditions, il ne peut non plus y avoir de concurrence déloyale de la part des annonceurs ayant agi de cette manière, "en l’absence de faute par la création d’un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine du produit". Le contentieux AdWords avait débuté en 2003 en France, il pourrait bien avoir trouvé ici son épilogue.


Une chose encore : dans au moins deux décisions, le système AdWords avait été considéré comme contraire à l'article 20 de la LCEN obligeant à ce qu'une publicité soit clairement identifiée, et identifie clairement l'annonceur. La cour évacue toute discussion sur la possibilité de sanctionner sur la base de ce texte :

les noms de domaine figurant sous les annonces, www.car-import.fr, www.directinfos.com, www.occas.net, outre qu’ils ne sont pas susceptibles de faire l’objet d’un quelconque rattachement avec le titulaire de la marque qui exploite au vu des informations données par les résultats naturels les noms de domaine www.auto-ies.com et www.autoies.com, rendent parfaitement possible au sens de l’article 20 de la LCEN l’identification de la personne, physique ou morale, pour le compte de laquelle le message publicitaire est diffusé, dès lors qu’ils renvoient respectivement à des sites où sont indiqués les éléments d’identification de l’éditeur : forme juridique, dénomination sociale, enseigne, n° RCS
(Mes étudiants du Master 2 DMI, que j'ai fait plancher là-dessus hier, apprécieront cette dernière observation !)

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