May 01, 2011

Les titulaires de marques en abusent-ils ?

Une telle question peut paraître étrange : on associe en effet volontiers les titulaires de marques à des victimes de contrefaçon sous toutes ses formes - y compris le cybersquatting.
Pourtant, c'est cette question qu'un honorable parlementaire des Etats-Unis a posé, et qui est à l'origine d'un rapport au Congrès, intitulé Trademark Litigation Tactics (avril 2011).

L'objet spécifique de ce rapport est de savoir si les titulaires de lourds portefeuilles de marques font usage de leurs droits au détriment des petites entreprises. Il s'agit d'une étude empirique (avec les limites de ce genre d'étude, surtout dans le domaine juridique où l'on se heurte à la confidentialité).

Surveiller ses marques exige des moyens. Une entreprise importante dispose de ces moyens, contrairement à une start-up : c'est le premier constat que fait l'étude.
Evaluer l'existence d'une atteinte effective à la marque peut également être coûteux - variable selon le système juridique, la juridiction qui pourrait être amenée à statuer, etc. -, ce qui là aussi renforce la situation des premières face aux secondes (deuxième constat). Il en va de même des mesures prises pour le respect des droits (troisième constat). Dans le cas où les cease and desist letters restent sans effet, la phase contentieuse peut aussi être source d'abus (en particulier du fait de l'existence d'un award of attorney's fees - quatrième constat).

Toute défense d'une marque qui peut paraître abusive à celui qui la subit n'est pas forcément perçue comme telle par celui qui l'exerce : ce que l'un estime injuste, l'autre peut l'estimer nécessaire, indique le rapport, qui ajoute toutefois :
Mark owners may, however, sometimes be too zealous and end up overreaching. Sometimes they may have an over-inflated view of the strength of the mark and thus the scope of their rights (e.g., they consider their mark famous when it may not actually qualify as famous). Other times, they mistakenly believe that to preserve the strength of their mark they must object to every third-party use of the same or similar mark, no matter whether such uses may be fair uses or otherwise non-infringing. They may lose sight of the fact that the effectiveness of enforcement is not measured by how frequently they enforce, but rather by the effect that taking or failing to take action has in the marketplace.
Le rapport précisant ensuite qu'1,5 % seulement des différends en matière de marques se terminent au tribunal, les 98 % immergés peuvent effectivement donner lieu à des pratiques très éloignées de ce que prévoit la loi - en l'occurrence que la marque est un droit relatif à objet spécifique. Le fait que le nombre de cease and desist letters ne soit pas une donnée publique empêche d'apprécier pleinement le phénomène, regrette le rapport.* Une consultation publique a donc été lancée afin de pouvoir faire remonter les éléments qui permettront d'en prendre la mesure.

La plupart des praticiens qui y ont répondu ont indiqué avoir eu connaissance de pratiques agressives à l'endroit des petites entreprises sous la forme de cease and desist letters, mais peu sous la forme d'actions en justice.
Les TPE ou PME qui reçoivent de telles lettres alors qu'elles procèdent à un dépôt de marque font souvent marche arrière, faute de vouloir engager des fonds pour leur défense (il aurait été intéressant que la question soit étendue aux noms de domaine).

Plusieurs répondants ont suggéré pourrait être trouvée dans l'amendement des règles des autorités décidant de l'attribution des marques, en premier lieu le TTAB, équivalent d'une I.N.P.I. statuant sur des oppositions (la même remarque pourrait probablement être faite pour les registres disposant d'un pouvoir en matière d'allocation de noms de domaine en vertu de la loi, comme c'est le cas en France).

Du fait de l'importance des petites entreprises pour le tissu économique, le rapport invite aussi les institutions à soutenir celles-ci contre les tactiques abusives :
small business owners could benefit from private sector programs offering low-cost or free trademark advice to help them respond to frivolous claims of trademark infringement [les moyens de le faire sont plus précisément décrits page 27] (...)
Increasing efforts to educate trademark lawyers about how to appropriately protect a client’s mark can help address this problem and reduce the number of inappropriate cease-and-desist letters (...)
Educating small businesses about the IP system at large, both in the United States and abroad, and about Federal Government resources available to assist them in the IP context, could help decrease the use and the effectiveness of any overly aggressive trademark litigation tactics

* Dans le cas spécifique d'internet et du droit américain, le rapport aurait pu exploiter les données du site ChillingEffects.org, très révélateur de l'exagération qui peut être donnée aux droits de propriété intellectuelle.

3 comments:

FG said...

Dommage qu'au final ChillingEffects.org ne comporte que peu de C&D letters differentes une fois exclues celles adressees a Google (presque 90%)

A quand un projet identique en France?

Cedric Manara said...

Il y avait un peu plus de 26.000 envoyées à Google au 1er mai, mais l'immense majorité est basée sur le DMCA - et donc pas sur le droit des marques.
Twitter envoie depuis quelques mois ses notifications, ce qui va contribuer à diversifier la base, jusqu'ici essentiellement nourrie par Google, Yahoo et Digg.

Pour un Chilling Effects à la française, l'idée est dans l'air, mais on cherche des fonds (et du temps !).
A vot' bon coeur....

FG said...

Si Facebook pouvait faire de meme ce serait pas mal non plus! Je suis sur que leur "automated DMCA form/IP infringement form" sont tres utilises.