June 30, 2011

Nouveau cadre du .fr au 1er juillet : quid du décret ?

.fr.
La loi a divers effets, notamment celui d'offrir à l'enregistrement un ensemble de noms qu'il n'était jusqu'alors pas possible d'enregistrer (une série de noms considérés comme illicites, ou liés à des activités régaliennes, ou encore des noms de commune).

Ces noms seront disponibles à l'enregistrement à partir de demain midi. Les candidats à l'enregistrement de ces noms (dont certains ont un potentiel économique important) devront respecter une procédure spécialement mise en place pour cette occasion : "seuls les demandeurs justifiant d’un intérêt légitime et d’un usage de bonne foi pourront enregistrer ces termes" a indiqué l'AFNIC dans un communiqué.*

En application de l'article 10.2 de la charte de nommage, le candidat devra fournir "les justificatifs nécessaires permettant de vérifier [qu'il] peut prétendre à l’enregistrement du nom de domaine envisagé au regard des dispositions du Code des Postes et des Communications Electroniques".
Que dit ce code à propos de l'intérêt légitime et de la bonne foi ? Il ne dit rien... ou plus exactement il ne dit rien encore.

Le décret devant venir préciser ce que le pouvoir exécutif entend par "absence d'intérêt légitime" ou "usage de mauvaise foi" n'est toujours pas paru. Les actes administratifs entrant en vigueur au lendemain de leur publication (article 1er du code civil), cela conduit** à une situation inconfortable :
- pour les candidats qui ont à présenter les motifs de leur demande sans savoir précisément ce que l'office d'enregistrement attend,
- et pour l'office d'enregistrement, qui doit commencer l'examen des demandes sans cadre juridique sûr.

Faute de décret applicable au moment où les candidatures sont émises, la situation est la suivante : tout le monde doit s'en tenir à un texte de loi qui fixe le principe de conditions, mais sans connaître le contenu de celles-ci.
La situation n'est pas inédite : nombre de textes de loi n'ont jamais reçu leurs décrets d'application, ou ces derniers ont été promulgués très tardivement. Mais rappeler l'existence de ces précédents ne mettra pas de baume au coeur des lecteurs de ce blog !

* Nota : en l'état, cette procédure est pour partie contraire au texte de la loi.
** Sauf si le gouvernement décide d'une application en urgence, comme cela s'observe de temps à autre. L'enregistrement débutant à 12 h le 1er juillet, il est encore possible d'imaginer un tel scénario.

June 29, 2011

PROTECT-IP Act

PROTECT-IP est l'acronyme de Preventing Real Online Threats to Economic Creativity and Theft of Intellectual Property Act. Ce texte actuellement en cours de discussion au Parlement des Etats-Unis (PROTECT-IP Act of 2011, S. 968) a pour objectif de lutter contre la contrefaçon en s'appuyant sur le DNS.

Si ce texte est adopté, il permettra d'enjoindre aux fournisseurs d'accès à internet, et aux opérateurs de serveurs de nommage, de refuser de donner suite à des requêtes d'accès à tout nom de domaine dont un tribunal américain aura dit qu'ils sont dédiés à des activités contrefaisantes (“dedicated to infringing activities”). Le juge américain pourra prendre une telle décision de manière très sommaire, sans même que l'exploitant du nom puisse répondre.
Ce texte vise tout nom de domaine, pas seulement ceux qui seraient en .us, par exemple ! Un nom de domaine en .fr peut être frappé d'une telle décision, même si le site n'a pas de lien avec les Etats-Unis, dès le moment où un juge considère qu'il est le lieu d'une possible violation de droits de la propriété intellectuelle américains.

Le texte frappe aussi d'autres intermédiaires : moteurs de recherche, prestataires de paiements, régies publicitaires.

Inutile de s'arrêter longtemps sur ce texte pour dire qu'il porte atteinte à diverses libertés, et à la neutralité de l'infrastructure de nommage, et contribuer à la "balkanisation" de l'internet.

[MAJ, 14.7.11 : le point de vue de la MPAA]

June 21, 2011

"Les noms de domaine" - Thèse, Versailles, 2011.

Pour ne pas être confiné dans l'espace des revues juridiques papier, j'ai créé ce blog il y a un peu plus de 6 ans. Ecrire ici des notes ponctuelles sur les noms de domaine a fait naître un autre besoin : celui de consacrer une étude juridique d'ensemble sur les noms de domaine. Aujourd'hui 21 juin, je peux dire que c'est chose faite : à l'heure où sont publiées ces lignes, je suis en train de soutenir à l'Université de Versailles ma thèse de droit sur les noms de domaine.

Ceux que cela intéresse pourront consulter :
- l'invitation à la soutenance à l'adresse www.soutenance.fr ;-)
- le texte (non édité) par lequel je prévois de présenter mon travail au jury,
- la page de remerciements
- et le plan de la thèse.

Je renouvelle mes excuses aux collègues toulousains qui m'avaient invité le même jour à les rejoindre pour parler de noms de domaine.

June 20, 2011

Décision UDRP à propos d'un domaine de troisième niveau

Certains registrars proposent l'enregistrement de noms de troisième niveau se rattachant à un nom de domaine court : .co.nl, par exemple. Le registrar CentralNIC en a fait le coeur de son activité, proposant des noms en .uk.com, .cn.com ou .us.com.
Afin d'anticiper les éventuels litiges, il a incorporé aux règles d'enregistrement les règles UDRP (sous l'appellation "CentralNic Resolution Policy"). Les contentieux sont si rares que celui qui vient d'être tranché à propos du nom feiyue.eu.com mérité d'être signalé.
Dans sa décision, l'arbitre a estimé que ce nom est similaire au point de prêter à confusion avec la marque FEIYUE. Sur le plan méthodologique, on notera qu'il s'appuie sur les précédents UDRP, qui pourtant ne devraient pas être pris en compte, les noms auxquels s'appliquent les règles UDRP étant différents des noms qu'administre CentralNIC.

"point" final

(photo: Wendy Seltzer)

June 19, 2011

Les administrations et leurs noms de domaine

En février 2010, dans un rapport sur l'amélioration de la relation numérique à l'usager, un groupe d'"experts numériques" (B. Bejbaum, Y. Costes, P. Lemoine, H. de Maublanc, R. Picard, F. Riester...) proposait qu'un site officiel soit reconnu par l'internaute dès le premier coup d'oeil.*

Avant de parvenir à cette recommandation, ils avaient établi un diagnostic selon lequel, par exemple, "la forte hétérogénéité en termes de dénomination de l’url des sites ne permet pas d’identifier de façon intuitive un site public officiel (à la différence du nom impots.gouv.fr qui est intuitif). Service-public.fr ne reprend pas la terminaison en .gouv.fr". Ils observaient que "l’hétérogénéité des url augmente les budgets de communication".

Afin de résoudre ce problème, ils avançaient des solutions aussi singulières que "rendre obligatoire par les moteurs de recherche la prise en compte du caractère « officiel » d’un site public"**, ou facilement implémentables comme "définir une dénomination des sites administratifs publics qui soit unifiée et intuitive pour faciliter l’identification du site par l’usager".

En annexe du rapport (p. 38), il était fait référence à une étude britannique de 2006 qui montrait que sur des milliers de sites administratifs, seule une trentaine devait être conservée... suite à quoi la Grande Bretagne a lancé un vaste programme de suppression de sites.

De façon intéressante, c'est dans un même mouvement que s'engagent aujourd'hui les Etats-Unis. L'administration américaine estime qu'elle a trop de sites (24.000) et de noms de domaine en .gov (2000). Elle veut réduire ce nombre (et lutter contre la redondance, les services difficilement utilisables et accessibles, et en définitive économiser l'argent public), et vient d'annoncer un gel des créations de nouveaux noms en .gov. La liste de tous les noms de cette extension sera publiér d'ici la mi-juillet, et il sera ensuite décidé lesquels supprimer.

En France, en 2010, 420 noms de domaine étaient enregistrés dans le sous-domaine .gouv.fr (p. 16 de l'annexe du rapport). Ce nombre perdurera-t-il ?

* source de l'info : S. Cottin
* après avoir relevé qu'"Il est techniquement possible pour un moteur de recherche d’identifier un élément visuel pour décider ou non de tagger un site lors de son référencement (certes Google refuse, mais le droit peut l’y contraindre).

June 10, 2011

Noms de villes

Le Sénateur le plus cité sur ce blog est le Sénateur Masson. Habitué des questions écrites au gouvernement, il en a déjà posé plusieurs relatives à la protection des noms de commune sur internet. Visiblement, le Ministère fait désormais du copier-coller de ses réponses, car la réponse à sa dernière question ne tient pas compte du nouveau régime du .fr adopté par la loi du 22 mars 2011 !
Je reproduis donc ici pour info la réponse, mais en attirant l'attention du lecteur sur le fait que le régime juridique a changé depuis.

Question écrite n° 17518 posée par M. Jean Louis MASSON (de la Moselle - NI)
publiée dans le JO Sénat du 10/03/2011 - page 582
M. Jean Louis Masson demande à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration de lui préciser quels sont les moyens dont dispose une commune pour empêcher l'usage abusif de son nom par un profil pirate sur Internet.
Réponse de M. le ministre chargé des collectivités territoriales
publiée dans le JO Sénat du 09/06/2011 - page 1538
La loi n° 2004-669 du 9 juillet 2004 relative aux communications électroniques et ses décrets d'application ont permis de réserver aux collectivités territoriales l'enregistrement de leur nom dans le nom de domaine en « .fr » et d'interdire l'enregistrement dans ce nom de domaine en « .fr » de dénominations ayant pour effet ou pour objet d'entraîner une confusion avec le nom d'une collectivité territoriale. Par ailleurs, lorsque le nom d'une commune est utilisé pour renvoyer à un site n'ayant pas de rapport avec celle-ci, dans le seul but de capter du trafic d'Internet, l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle permet de s'opposer à l'enregistrement du nom de la commune sur Internet lorsque le titulaire n'a pas un droit ou un intérêt légitime sur ce nom ou encore lorsque cet usage constitue une atteinte au nom, à l'image ou à la renommée de la collectivité. Un tel acte peut être qualifié de parasitisme créant, de ce fait, un préjudice à la commune (CA Paris, 27 octobre 2004, sur paris2000.info). De même, l'article L. 711-4, alinéa h, du code de la propriété intellectuelle interdit d'adopter comme marque un signe portant atteinte au nom, à l'image ou à la renommée d'une collectivité territoriale. Ces dispositions constituent une reconnaissance du droit des communes sur leur nom. Ainsi, lorsqu'une commune estime que son nom a été enregistré ou utilisé de façon abusive, elle peut engager une action en justice sur la base de l'article 1382 du code civil, en s'appuyant sur l'article L. 711-4 du code de la propriété intellectuelle. À titre d'exemple, la cour d'appel de Montpellier a considéré que constituait un trouble manifestement illicite l'utilisation seule de l'abréviation du nom d'une commune, dans la dénomination d'un site Internet sans précision ou complément permettant la différenciation avec le nom de la collectivité, ce qui était de nature à induire une confusion dans l'esprit du public en laissant croire aux internautes qu'il s'agissait d'un des sites officiels de la commune (CA Montpellier ch. 5, section A, 16 octobre 2008, n° 08/00878. L'association La Voix du Riberale/commune de Saint-Estève).

June 03, 2011

Marché unique : et les noms de domaine ?

La Commission Européenne a récemment présenté une communication "Vers un marché unique des droits de propriété intellectuelle", également présentée comme sa stratégie en ce domaine pour les années à venir.

La Commission adopte la définition classique des droits de propriété intellectuelle : "Les droits de propriété intellectuelle incluent les droits de propriété industrielle, tels que les brevets, marques, dessins et indications géographiques, les droits d’auteur et les droits voisins". On ne s'étonnera donc pas qu'il n'y ait pas une seule ligne consacrée aux noms de domaine, qui ne constituent pas de tels droits (pas un mot non plus sur le .eu).

Néanmoins, comme la Commission souligne que "la rapidité du progrès technologique a modifié la façon dont les entreprises exercent leur activité et dont les produits et services sont distribués, reçus et consommés, comme c’est le cas pour les services audiovisuels et de musique en ligne. De nouveaux modèles d’entreprise apparaissent, et les modèles traditionnels évoluent. De nouveaux acteurs économiques et prestataires de services s’implantent sur le marché". La Commission en tire la conclusion qu'en la matière "la législation européenne (...) doit doter l’UE du cadre dont elle a besoin pour encourager l’investissement en récompensant la créativité, stimuler l’innovation dans le cadre d’une concurrence non faussée et faciliter la diffusion des connaissances".
On pourra donc regretter que les diverses formes de nommage internet ne soient pas prises en compte dans ce rapport dont le sous-titre est "Doper la créativité et l'innovation pour permettre à l'Europe de créer de la croissance économique, des emplois de qualité et des produits et services de premier choix". Ces activités constituent en effet le point d'accès aux nouvelles formes d'activité que la Commission souhaite encourager.

La dénomination d'un site suffit-elle à le rendre illicite ?

Prenons un nom au hasard, ou presque : antisemitisme.fr

Ce nom figure dans la liste des termes fondamentaux définis par l'AFNIC, et n'a jamais pu être réservé. Il le sera à partir du 1er juillet 2011.

Imaginons qu'une personne acquière ce nom. Elle peut le faire pour y créer un site dénonçant l'antisémitisme, comme elle pourrait vouloir l'acquérir pour déverser sa haine. Comme toujours en matière de nom de domaine, ce n'est pas le nom en soi qui est illégal, c'est l'usage qui en est fait.

Tel n'est pourtant pas l'avis de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui vient de rendre un arrêt curieusement motivé. Invitée à se prononcer sur la légalité des sites torrentnews.net et torrent-public-center.com, elle a estimé que :

la seule dénomination de ces sites établit leur activité illicite, les sites torrent étant connus des internautes comme permettant d'accéder au protocole BitTorrent dont l'objet principal, voire unique, est le téléchargement d'oeuvres protégées par le réseau peer to peer dont l'avantage est de diversifier et d'accélérer l'accès aux fichiers recherchés
L'éditeur de ces sites a été condamné pour contrefaçon. Sans entrer ici dans l'analyse de la régularité de cette sanction (l'arrêt n'est pas des plus rigoureux...), il est utile d'isoler cette considération relative aux noms de domaine pour la critiquer.
Un mot peut avoir plusieurs sens, et être utilisé à des fins différentes. Un torrent est par exemple à la fois un courant d'eau, ou un protocole. Inférer du seul nom choisi pour un site qu'il est illégal est contraire aux principes du droit pénal, mais aussi de la logique la plus élémentaire. Il faut donc espérer que cet arrêt sera rapidement oublié, ainsi qu'il le mérite !