October 24, 2011

Proposition de loi tendant à protéger le nom des communes et des territoires

Il n’existe pas de droit sur les noms de collectivités territoriales (art. L. 2111-1 et R. 2111-1 du code général des collectivités territoriales).* Cela étonne souvent les élus, mais la règle est de bon sens : le nom des villes et villages est d'abord une désignation géographique commune à tous. Son utilisation est nécessaire dans l'activité politique ou économique, ce qui justifie l'absence de droit privatif.
L'affaire Elancourt avait ainsi illustré la nécessité de pouvoir parler de la ville et de l'action municipale sans en être empêché par un droit de propriété intellectuelle. La liberté de mentionner le lieu d'exercice d'une activité économique fut reconnue par la Cour de cassation, qui jugea que la présence du nom géographique Baccarat dans les marques de la société 'Compagnie des Cristalleries de Baccarat' n'interdisait pas à une entreprise concurrente ayant son siège social dans cette ville de l'utiliser comme adresse (Cass. com., 17 mai 1982). Aller dans le sens d'une reconnaissance des collectivités à un droit sur le nom reviendrait à mettre celles-ci en porte-à-faux avec les activités des personnes physiques et morales présentes sur leur territoire.
Pourtant, une proposition de loi (n° 2882) vient d'être déposée à l'Assemblée Nationale en ce sens, que son auteur justifie ainsi : "Les collectivités territoriales ont droit à la protection de l’ensemble des éléments de leur statut, et en particulier de leur nom" - justification qui n'est qu'un postulat, n'étant pas démontré d'où naîtrait un tel "droit".
L'exposé des motifs de la proposition de loi indique plus loin : "la protection des droits des collectivités territoriales sur ces éléments de leur statut doit faire l’objet de dispositions spécifiquement consacrées par le droit public et non traitées au détour de dispositions relevant du code de propriété intellectuelle ou du code des postes et communications électroniques". Référence est ainsi faite à la protection que les collectivités ont pu avoir de leur désignation en tant que nom de domaine. Aussi est-il proposé que soit adopté un nouvel article dans le code général des collectivités territoriales, qui serait libellé ainsi : « Les communes, les départements et les régions bénéficient d’une disponibilité pleine et entière de leur dénomination et peuvent en faire librement usage dans le cadre de l’exercice des missions de service public qu’elles assurent ».
On voit mal ce que signifie "disponibilité" :
- soit il s'agit d'exclure toute autre personne de la possibilité de déposer ou d'enregistrer ce nom sous quelque forme que ce soit - et dans ce cas cette proposition n'a pas de sens ;
- soit il s'agit de permettre aux communes de pouvoir utiliser leur nom sans courir le risque de se le voir reprocher par un tiers - ce qui est déjà le cas : le droit n'a donc pas besoin d'être changé !

* pour une application, voir par exemple la décision 4204 du 20 juillet 2007 rendue par l’Arbitration Center for .EU Disputes à propos du nom 92.eu


[merci à Marc pour l'info]

8 comments:

Anonymous said...

"..sans courir le risque de se le voir reprocher par un tiers - ce qui est déjà le cas :.."

en etes vous si surs ? Mr le député censi à l'origine du projet évoque la commune de laguiole dont le nom a ete enregistré par une entité privée il y a bien longtemps sous la forme d'une marque couvrant les couteaux et d'autres produits. Eh bien, il lui est interdit d'utiliser la marque pour promouvoir son aoc ou aor "fabrication de couteaux de la guiole" fabriqués à laguiole 100% françcais

CM said...

Si l'exemple que vous donnez est la justification de cette proposition de loi, alors cette justification me paraît critiquable.

Elle l'est d'abord car il n'est pas du rôle naturel d'une commune d'avoir une activité commerciale, et donc de chercher à revendiquer des droits de propriété industrielle.

Dans le cas où c'est une entreprise de son territoire qui exploite son nom à des fins commerciales, il me paraît surprenant de chercher à empêcher ce contribuable local d'utiliser le nom de la commune sur lequel il est installé - et paie des impôts.

Si la commune de Laguiole ne peut utiliser la marque LAGUIOLE pour des couteaux - pour reprendre l'exemple que vous donnez -, elle n'en a pas moins le droit de se présenter comme le bassin d'activités où l'on produit des Laguiole. Ou encore de déposer la marque pour une série d'autres produits ou services (encore que, comme je l'écrivais plus haut, il ne me paraît pas complètement normal qu'une commune dépose des marques, plus encore si c'est pour causer des frictions avec des activités locales).

Dans le cas particulier de Laguiole, on ne peut pas parler d'AOC : cela n'existe que pour des produits alimentaires.

Il existe 36.000 noms de commune, 1 million de marques. On imagine donc que aisément qu'il existe un grand nombre de cas où un nom de marque coïncide avec un nom de commune. S'il n'est possible de citer que l'exemple de Laguiole, c'est donc que le problème n'est qu'un épiphénomène.

CM said...

Intervention du Secrétaire d'Etat chargé du Commerce, de l'Artisanat, des PME, etc. devant l'Assemblée Nationale le :

"Je suis allé à Laguiole avec Yves Censi, qui a proposé dans un rapport une disposition similaire : le maire est désarmé parce que le nom de sa commune a été acheté par une marque à laquelle il doit demander l’autorisation de réaliser le logo de sa ville !

Inversement, des marques peuvent être le moteur économique d’une ville ou d’une région. Si elles se voyaient interdites par un conseil municipal, c’est toute l’économie locale qui en souffrirait.

Il ne m’est pas possible d’accepter une disposition selon laquelle, monsieur le président, une collectivité donne son autorisation préalablement à l’utilisation de son nom. Ne serait-il pas possible d’envisager, par exemple, le recours à l’INPI ? Nous avons le temps de réfléchir à une solution avant la séance publique.

Imaginez-vous que Woody Allen ait dû demander son autorisation à M. Bertrand Delanoë pour donner à son dernier film, magnifique, le titre de Midnight in Paris ? À cet égard, M. Brottes a raison : il faut faire très attention.

Je comprends toutefois votre préoccupation, M. le rapporteur, ainsi que celle d’Yves Censi et de Christian Jacob. La rédaction initiale de l’amendement a le mérite de créer un droit à agir de la collectivité. Peut-être faut-il aller plus loin, mais je ne saurais être favorable au sous-amendement du président.

Lorsque j’ai reconnu publiquement que Laguiole était confronté à un vrai problème, j’ai reçu de tous les départements des messages de chefs d’entreprise me demandant de faire attention à ne pas fragiliser l’emploi
".

(source)

Anonymous said...

le porteur de marque laguiole depuis + de 15 ajs pourrait-il etre inquiété par cette modification législative visant à "...renforce enfin le marquage de l'origine des produits en étendant la notion d'« indication géographique protégée » aux produits industriels associés à un territoire....."

CM said...

A ce jour, il n'y a pas de modification législative : http://www.assemblee-nationale.fr/13/ta/ta0742.asp

source said...

Article 7 :
Extension de la notion d'indication géographique aux produits non alimentaires.


Création d'un nouvel article L. 721-1-1 dans le code de la propriété intellectuelle, permettant aux collectivités territoriales d'avoir un droit de regard sur l'utilisation envisagée de leur appellation ou de leurs signes distinctifs, ce droit moral pouvant éventuellement faire ensuite l'objet d'un accord avec celui ou celle qui prétend en faire usage (disposition introduite à l'initiative du Rapporteur M. Daniel Fasquelle ).

CM said...

Pour l'heure, ce n'est qu'au stade de la discussion devant le Parlement. Le Code de la propriété intellectuelle n'a pas été modifié.
S'il l'était, les conditions précises de l'application du texte seraient, dans son libellé actuel (et provisoire), fixées par décret. Il faudrait donc attendre ce décret pour se prononcer.

Toute atteinte au droit de propriété sur la marque pourrait être considéré comme anticonstitutionnel.

Anonymous said...

Laguiole ou Thiers !

"...Le premier point concerne la dénomination antérieure, c’est-à-dire la prise en compte de la préexistence de dénominations qui sont une réalité avant même l’enregistrement dans la dénomination d’indication géographiquement protégée. L’article 14 est extrêmement clair à cet égard puisqu’il dispose : « Dans le respect du droit communautaire, l’usage d’une marque […] acquise par l’usage de bonne foi sur le territoire communautaire [ ... ] avant la date de protection de l’appellation d’origine ou de l’indication géographique dans le pays d’origine, peut se poursuivre nonobstant l’enregistrement d’une appellation d’origine ou d’une indication géographique ».
Je veux insister sur la dénomination antérieure en m’appuyant sur un exemple précis qui n’est connu ni du grand public ni très certainement de nombreux députés. L’appellation « laguiole », qui est très ancienne, et qui pour l’essentiel compte de nombreux noms de couteaux, s’est développée dans la ville de Thiers avant même de trouver un point d’accroche au village de Laguiole. Il existe actuellement cent soixante marques « laguiole », dont certaines remontent au xixe siècle. Quatre cents salariés du bassin coutelier de Thiers travaillent pour le laguiole. C’est un produit fabriqué à 80 % à Thiers. C’est dire l’inquiétude des artisans et des PME et le risque que représenterait pour eux la limitation de cette marque à la localisation géographique du village de Laguiole. Ce serait un coup terrible porté à la coutellerie thiernoise : une concurrence déloyale s’instaurerait en contradiction avec le droit communautaire, voire avec le droit international...."