Tremblez titulaires de marques ! Une récente décision de la Cour de cassation (1) pourrait bien condamner à l’échec la plupart des actions en contrefaçon engagées contre ceux qui ont enregistré des noms de domaines identiques à vos signes. La Cour de cassation vient de rappeler, clairement, la rigueur des règles applicables en matière de contrefaçon.
Ce n’est que la troisième fois que la haute cour se prononce sur la question des noms de domaine. Ses deux premiers arrêts étaient des arrêts de rejet, dont le plus significatif était relatif à un conflit entre un nom commercial et un nom de domaine. Le dernier est un arrêt de cassation, rendu dans un litige entre le titulaire d’une marque et celui d’un nom de domaine identique, rendu en défaveur du premier.
La marque Locatour a été déposée en 1981 pour divers services relatifs aux voyages, dans les classes 36, 39, 41 et 42. Quelques années plus tard, ce même signe Locatour est déposé parallèlement en classe 38, pour des services de télécommunications. Ce second dépôt reflète une pratique généralement constatée, qui soit va de pair avec l’ouverture d’un service minitel, soit a pour but d’anticiper la création… mais aussi et surtout de protéger la marque contre les « cybersquatteurs ».
Car pour attaquer les auteurs d’enregistrements frauduleux, il faut disposer des armes de la contrefaçon : justifier que le nom de domaine est identique ou similaire à une marque, et que le nom est exploité pour un produit, ou un service, identique ou similaire.
C’est sur le fondement de la contrefaçon que le titulaire des marques Locatour attaque une société qui avait enregistré locatour.com. Il obtient partiellement gain de cause devant la Cour d’appel de Paris (2). Celle-ci considère que la marque enregistrée pour des services de télécommunications est contrefaite par un nom de domaine ouvrant sur un site web, même si ce site est inactif, mais qu’il n’y a pas contrefaçon de la marque utilisée pour des services de voyages… car de service il n’y a point ! Les juges ont en effet constaté que le défendeur n’exploitait pas le nom locatour.com.
La Cour de cassation approuve les juges d’appel sur ce second point : la contrefaçon supposant une similitude de services désignés par un même signe, il ne peut y avoir contrefaçon puisque le nom de domaine n’est absolument pas exploité !
La Cour de cassation ne s’arrête pas en si bon chemin : elle censure les juges d’appel qui ont considéré que le site web du défendeur est en soi un service de télécommunications, et que son association au nom de domaine litigieux entraînait contrefaçon. Pour ce faire, la haute cour énonce qu’il convenait de rechercher si les produits et services que pouvait offrir sur le site internet le défendeur étaient identiques ou similaires à ceux visés dans le dépôt de la marque déposée en classe 38.
Il ne s’agit pas là d’une interprétation audacieuse des dispositions du droit des marques dans un contexte technologique particulier. Au contraire, la Cour de cassation ne fait que réaffirmer les règles du droit des marques ! Alors que lui est donnée pour la première fois l’occasion de se prononcer dans une affaire « marque contre nom de domaine », sa décision remet rétrospectivement en cause plusieurs décisions du fond qui ne furent pas si rigoureuses dans leur caractérisation de la contrefaçon…
Quelles sont les conséquences de cet important arrêt ? Il est désormais clair que, sauf dans les cas où elle est notoire, le titulaire d’une marque ne peut qu’échouer s’il assigne en contrefaçon le propriétaire d’un nom qui ne l’exploite pas. La stricte réservation d’un nom est sauve de toute action fondée sur les articles 713-2 et 713-3 du Code de la propriété intellectuelle.
Deuxième conséquence : cette décision devrait peser sur la jurisprudence relative à la portée de la protection d’une marque déposée en classe 38 confrontée à un nom de domaine. Selon un courant jurisprudentiel, ce dépôt rendrait la marque plus forte, dans la mesure où un site web est, par nature, un service de communication, et que le nom de domaine associé est donc exploité pour un service similaire à ceux de la classe 38. Pour un autre courant jurisprudentiel, le site web n’est que le moyen d’une activité, un outil neutre qui ne peut en soi être qualifié : c’est l’utilisation qui en est faite qui doit indiquer la catégorie à laquelle il se rattache (un site web qui vend des livres relèverait donc de la catégorie des livres).
Les titulaires doivent-ils donc désormais rendre les armes ? Ils doivent en changer. La bonne vieille action en responsabilité sera d’un utile secours pour la nouvelle ère procédurale qui s’ouvre dans les conflits entre marques et noms de domaine.
(C) Cédric Manara
(1) Cass. Com., 13 décembre 2005, n° 04-10.143. Commentaire plus académique : Cédric Manara, Un nom de domaine inactif n’est pas une contrefaçon de marque, paru sur Dalloz Actualités le 19 décembre 2005 et dans le Recueil Dalloz, janvier 2006, n° 1.
(2) Paris, 29 octobre 2003.
locatour / cassation
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