Par une décision qui avait fait grand bruit, l'EURid avait été condamnée sous astreinte à débloquer 74.000 noms de domaine. Elle avait procédé à leur gel en juillet, considérant que ces noms avaient été enregistrés en violation des règles applicables [communiqué].
Voici les raisons qui ont conduit le tribunal de première instance de Bruxelles à prononcer la levée du blocage, au terme d'une action en cessation (affaire 06/1255/C, 27 septembre 2006).
Le tribunal rappelle d'abord le rôle de l'EURid tel que défini par les Règlements communautaires. Sont aussi rappelées les règles d'allocation des noms de domaines aux utilisateurs : seuls les entreprises, organisations et résidants de l'Union peuvent prétendre à un nom, il est nécessaire de passer par un registrar.
Les conditions pour être un registrar en .eu sont également résumées par le tribunal : signature d'un contrat à cette fin, et paiement d'une avance de 10.000 €.
En l'espèce, 397 sociétés ont sollicité, le même jour, leur agrément en tant que registrars. Ce sont elles qui sont les demanderesses. Trois autres sociétés (Ovidio Ltd., Fausto Ltd. et Gabino Ltd.) se sont portées intervenantes volontaires dans cette affaire.
Ensemble, ces 400 sociétés ont indiqué au tribunal faire partie d'un groupe dédié à l'achat du nombre le plus élevé possible de noms de domaine génériques ; le but est de les exploiter dans le cadre de la "navigation directe" (directe navigatie en néerlandais, langue de la décision), décrite comme étant la méthode par laquelle on procède à une recherche en tapant un mot dans le navigateur plutôt que dans un moteur. Il est indiqué qu'elles ont ainsi réussi à enregistrer près de 75.000 noms.
Le 20 juillet 2006, l'EURid a empêché à ces sociétés l'accès à ses systèmes d'enregistrement, apparemment sans notification préalable. Fut ensuite publié, le 24 juillet, un communiqué de presse relatif à l'affaire, également envoyé par e-mail aux intéressées. L'EURid y indique qu'en plus de suspendre 74.000 noms, elle a décidé d'attaquer leurs 400 registrars pour violation du contrat qui les lient à elle (l'assignation a été faite le jour même, et l'audience programmée au 10 novembre). L'EURid indique qu'elle a toutes raisons de penser que ces enregistrements massifs sont abusifs.
Le 4 août, les sociétés concernées ont demandé à l'EURid le déblocage des noms, et une modification du communiqué de presse les stigmatisant. Sans réponse, elles l'ont assigné en justice le 10 août. Le 17 août, l'EURid a informé les sociétés qu'elle restaurait l'accès à ses systèmes d'enregistrement et acceptait la mise à jour de son communiqué de presse, mais qu'elle n'hésiterait pas à mettre immédiatement fin aux relations contractuelles en cas de perte de confiance.
1. La restauration de l'accès à l'enregistrement était l'une des requêtes formulées en référé. Tenant compte du fait que l'EURid avait accepté cette restauration, cette question est écartée par le tribunal. Le tribunal refuse en outre d'ordonner à l'EURid de maintenir l'accès aux enregistrements pour le futur, car le contrat autorise le registre à sanctionner un registrar en cas de manquement constaté, et le registre ne doit pas être privé de cette mesure de rétorsion pour l'avenir.
2. Y avait-il lieu à référé ? Selon l'EURid, il n'y avait pas urgence, car le blocage des noms n'excluait pas leur usage, et n'entraînait pas de préjudice sérieux. Mais dans la mesure où les demandeurs n'avaient pas le libre usage des noms qu'ils avaient pu enregistrer, et dans la mesure où cette situation allait durer tout le temps de la procédure judiciaire engagée contre eux, il a été jugé que la demande présentait bel et bien un caractère d'urgence. Il fut considéré en particulier qu'un tel blocage va à l'encontre de l'usage prévu, celui de "navigation directe".
Le tribunal tint aussi compte, pour caractériser l'urgence, du fait que les titulaires des noms ne pouvaient changer les données relatives à ces noms, ni les transférer auprès d'un autre registrar, ni les transférer gratuitement à des tiers (sic).
3. La question centrale, selon le tribunal, était la suivante : l'EURid pouvait-elle, sur la base de ses présomptions, procéder au blocage des noms, enregistrés par les intervenantes volontaires (Ovidio, Fausto et Gabino) au travers des 397 sociétés demanderesses ?
L'EURid invoquait une règle contractuelle l'autorisant à bloquer un nom quand elle est informée qu'une procédure judiciaire a été engagée relativement à ce nom. Elle a donc procédé au blocage suite à l'action qu'elle a elle-même engagée.
Mais il est observé que les noms ont été bloqués dès le 21 juillet, alors que l'assignation est datée du 24. En conséquence, il fut jugé que l'EURid ne pouvait retenir ce fondement pour procéder au blocage, ce d'autant qu'elle ne s'est pas non plus appuyée sur celui-ci, dans ses conclusions en réponse aux 397 demandeurs.
Le deuxième argument de l'EURid reposait sur l'article 20 du Règlement 874/2004, qui l'autorise à révoquer un nom si les conditions de l'article 3 ne sont pas remplies. Quoique ce texte ne parle que de "révocation", l'EURid l'interprétait comme l'autorisant à d'abord procéder au blocage, mesure préalable à la révocation.
Le tribunal a admis qu'un tel blocage puisse être "sous-entendu" par le Règlement, en application de l'adage "qui peut le plus peut le moins". Mais il a observé que les conditions de la révocation sont strictes : il convient que le registre notifie par voie électronique, 14 jours avant la mesure, la raison de la sanction à venir, et invite le titulaire du nom à se mettre en règle.
Dès lors, le blocage n'a pas été opéré de manière légale.
4. Les demandeurs demandaient la publication du dispositif de l'ordonnance sur le site de l'EURid. Le tribunal ne les a pas suivis, car ils n'ont pas justifié d'un préjudice découlant de la publication du communiqué du 24 juillet.
Il fut donc enjoint à l'EURid de débloquer chacun des noms concernés par la procédure, sous astreinte de 25.000 euros par nom et par heure.
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