December 02, 2010

Discussion législative autour du .fr : débats avant le débat

Lionel Tardy est le député qui a poussé en Commission un amendement destiné à réparer l'article L. 45, cabossé après son passage devant le Conseil Constitutionnel. Sur son blog, l'honorable parlementaire, parlant de son amendement, a indiqué : "Je suis ouvert à toutes les remarques, et s'il le faut, je déposerai en séance des amendements afin de l'affiner". Les mauvaises langues pourraient faire remarquer qu'il invite aux commentaires après la soumission du texte, mais ne nous arrêtons pas à ce détail : c'est en soi une bonne initiative de chercher à susciter des commentaires . L'A.F.N.I.C. y fait d'ailleurs écho, appelant "l'ensemble des parties prenantes" à contribuer au débat national.

Si l'espace "commentaires" du blog de L. Tardy est vierge à l'heure où ces lignes sont rédigées, quelques personnes se sont manifestées, sur Twitter ou dans la blogosphère. Que disent-elles ?

Une récente étude l'a souligné : il est malaisé de participer à la prise de décision juridique en 140 caractères. C'est vraisemblablement la raison pour laquelle peu de gens ont réagi au tweet du député invitant aux contributions. JF R. estime que définir les critères d'obtention des noms de domaine dans la loi et non par décret permet d'assurer l'égalité et sécurité pour tous les personnes éligibles au .fr. Il est vrai que le fait qu'un texte émane du pouvoir législatif et non exécutif est censé permettre d'éviter l'arbitraire. Mais il peut néanmoins arriver qu'un texte de loi ne respecte pas les principes supérieurs (la preuve en a d'ailleurs été donné précisément avec l'actuel article L. 45 CPCE !).
Robin B. dit que le paragraphe II.C du texte L.45 IIC lui "paraît abusif (et inutile): j'ai le droit de critiquer la République et ses institutions". Que dit ce II.C ?

Le choix d'un nom de domaine au sein des domaines de premier niveau correspondant au territoire national ne peut porter atteinte au nom, à l'image ou à la renommée de la République française, de ses institutions nationales, des services publics nationaux, d'une collectivité territoriale ou d'un groupement de collectivités territoriales, ou avoir pour objet ou pour effet d'induire une confusion dans l'esprit du public.
Sa remarque n'est pas dénuée de fondement : si l'on prend l'exemple d'un nom de commune, il ne sera pas possible de l'enregistrer en .fr, ni d'enregistrer un nom la critiquant et qui lui porterait atteinte (ou serait susceptible d'engendrer la confusion). Est-ce que cela affecte la liberté de communication ? C'est une question d'appréciation, sur laquelle le législateur est en train de prendre parti. Dans sa décision d'octobre, le Conseil s'était contenté d'indiquer que le législateur devait instituer des garanties pour éviter qu'il y ait atteinte aux libertés. La garantie posée au II (renvoyant à "la liberté d'autrui") est-elle suffisante ? La question est ouverte (et vous, quel est votre avis ?).
Toujours sur Twitter, Elu Local écrit : "Le délai de recours du IV parait vraiment court. On peut déposer un DN et l'exploiter de manière nuisible, bcp plus tard". Référence est ici faite à la disposition selon laquelle "pendant un délai de deux mois suivant l'enregistrement d'un nom de domaine, toute personne démontrant un intérêt à agir peut demander la suppression de cet enregistrement auprès de l'office d'enregistrement compétent". Trop court, ce délai ? Deux mois, c'est le temps habituel pendant lequel une décision administrative (la délivrance d'un permis de construire, par exemple) peut être contestée. Il s'agirait ici de demander au registre la suppression d'un nom enregistré en violation de l'article L. 45. Si au cours de son exploitation, après l'expiration du délai de deux mois, le nom viole les droits d'un tiers, ce tiers ne serait pas privé du droit d'agir (comme cela est le cas depuis quinze ans). La disposition critiquée par Elu Local ne paraît donc pas exorbitante.

Sur son blog, Stéphane B. écrit : "si cette loi était adoptée et appliquée strictement, un M. Michelin ne pourrait pas enregistrer de domaine à son propre nom puisque c'est aussi une marque". Il s'agit là de la reprise de ce qui figure déjà dans le décret du 6 février 2007, avec la même réserve que précédemment : "sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi". Quelqu'un qui s'appelle Michelin (et qui ne vient pas de changer son patronyme en Michelin juste pour obtenir ce nom en .fr !) devrait donc normalement pouvoir le faire.
Sur mon blog, Anonymous réagit : "le texte fait toujours la part belle aux marques, à l'etat, aux collectivités et aux élus qui bénéficient d'un régime prioritaire particulier, y compris rétroactif, au détriment de la liberté d'entreprendre et de communication dénoncée par le conseil constitutionnel". C'est un résumé un peu rapide, la loi étant plus détaillée que cela. Le législateur ne tient pas seulement compte de la nécessité de protéger les libertés, il prévoit aussi de protéger les pouvoirs publics. Ce qu'il décline en prenant des mesures en faveur des collectivités et de leurs élus. Ce faisant, il est allé au-delà de ce que prévoyait le Conseil... qui statuait toutefois dans la limite de ce qui lui était présenté. Il n'en demeure pas moins vrai qu'il existe dans le texte une gradation des demandeurs et de leurs droits, dont on peut se demander si elle est en phase avec l'équilibre des droits fondamentaux. Là aussi, la question est ouverte.

9 comments:

Elu Local said...

"Deux mois, c'est le temps habituel pendant lequel une décision administrative (la délivrance d'un permis de construire, par exemple) peut être contestée."

C'est vrai, et l'exemple du permis de construire est tout à fait bien choisi. Vous auriez même pu prendre une délibération municipale, etc. etc.

Mais ces décisions ne sont exécutoires qu'au moment de leur publicité et transmission en préfecture. (c.f. affichage public en Mairie tamponné du sceau préfectoral et/ou de la signature numérique si l'acte est télé-transmis). Les personnes concernées, l'opposition locale, etc. ne manquent pas de consulter ces panneaux.

La masse de noms de domaine déposée, ainsi que la variété des moyens de nuire et des personnes démontrant un intérêt à agir, me font penser que ce délai est trop court, et à la limite, inutile. Je maintiens donc mon tweet qui condensait la pensée que j'explicite ici.

CM said...

Merci de votre commentaire !

C'est vrai, si le délai est le délai de droit commun, les conditions de la publicité sont différentes quand on compare la publicité par affichage en mairie et la base de données d'enregistrement de noms de domaine. Vous faites bien de le souligner.

Cela dit, l'article prévoit que le registre publie quotidiennement les enregistrements auxquels ils procèdent. Ceux-ci sont accessibles aisément, sans bouger de chez soi, au moyen du whois. Et il existe des outils de veille (certes payants, et utilisés par les grands comptes). Dans ces conditions, ne pensez-vous pas qu'on pourrait considérer qu'il est aussi facile d'accéder aux noms enregistrés qu'à des informations municipales ?

Merci encore pour ce commentaire.

Elu Local said...

Ce n'est pas la publication, ni la facilité d'accès (meilleure que celle d'un panneau d'affichage, puisqu'en ligne), qui me posent problème. C'est, encore une fois, la quantité formidable d'informations à traiter (plus de 786 noms de domaine par jour sur ce mois de novembre source: http://www.afnic.fr/actu/stats/domaines/historique ).

J'ai du mal à voir qui pourrait agir en moins de deux mois, en dehors d'entreprises avec des outils de veilles sophistiqués.

authueil said...

Son amendement est adopté par la commission saisie pour avis. Il doit être validé par la commission saisie au fond, qui se réunit le 8 décembre. On peut amender le texte à cette occasion.

Si l'amendement Tardy est adopté par la commission des affaires sociales, il sera intégré au texte qui sera soumis à discussion en séance publique. On aura alors une nouvelle possibilité de le modifier. Ensuite le texte passera au Sénat où là encore, on pourra le modifier.

Pour lui indiquer des choses, plutôt que d'essayer de répondre sur twitter ou en commentaire sur son blog, vous pouvez lui écrire : ltardy at assemblee-nationale.fr !

Anonymous said...

Mais que peut faire Mr Bessieres, descendant du maréchal Bessieres, titulaire du nom de domaine bessieres.fr enregistré , exploitant du site internet http://www.bessieres.fr email jacque@bessieres.fr pour s'opposer à la mesure Predec FR00181 (http://predec.afnic.fr) prise à son encontre au profit de mr l'élu de la mairie de Bessieres.

Qu'en pensent Mr && Mr Tardy ?

CM said...

Le droit ne peut résoudre le problème engendré par la rareté des noms de domaine. Comme chaque nom est unique, en cas de "rivalité" entre candidats légitimes, c'est la règle du premier arrivé, premier servi qui s'applique traditionnellement.
Si maintenant la loi dit qu'il est des personnes moins légitimes que d'autres, c'est ce nouvel ordre d'attribution qui prévaudra, parce que le Parlement en aura décidé ainsi.

apdui said...

Bessieres.fr :
whois->date de création: 08 juin 2004

Les grandes évolutions de la charte .FR pour les communes françaises:


Mai 2004: perte du droit au nom des mairies.
(Plan réso 2002 - 2007 Raffarin)

Juillet 2004, mairie-bessieres.fr et ville-bessieres.fr ont été bloqués à l'enregistrement par l'afnic suite à la demande de Mr Mr Devedjian mandaté par Mr Copé pour ordonner à l'afnic le blocage immédiat à l'enregistrement de ces 2 sous domaines, visant à prévenir l'usurpation d'identité.
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Mai 2005: blocage à l'enregistrement de bessieres.fr

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Quid de Mr Bessieres ?

union droite gauche said...

l'avocat général de la cour de cassation, lors de l'affaire sunshine a évoqué la notion "d'interet national" pour qualifier la zone .FR, ce qui va au delà de "l'interet général" de la charte ou de la loi.

apdui said...

Question écrite Nº 13384 du 29/07/2004 page 1693 avec réponse posée par HENNERON (Françoise) du groupe UMP .



Mme Françoise Henneron appelle l'attention de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales sur les conditions de l'utilisation du nom d'une commune par une association ou une société. En effet, il s'avère, qu'alors même qu'aucun lien ne peut être établi entre la structure qui s'approprie le nom de la commune et la collectivité concernée, certaines d'entre elles voient leur nom utilisé par des tiers à mauvais escient ou à des fins commerciales, alors qu'ils n'y ont pas été autorisés préalablement par la collectivité.



En conséquence, elle lui demande de bien vouloir lui indiquer si une réglementation permet à un maire de s'opposer à de telles pratiques afin de protéger sa commune de l'utilisation abusive de son nom, faisant cesser par là même toute confusion dans les esprits et, dans le cas contraire, si à l'instar de la proposition de loi sur la protection du nom des collectivités territoriales sur Internet qui vient d'être votée par le Sénat, il envisage de prendre des mesures pour lutter contre l'appropriation du nom d'une collectivité par des tiers.





Ministère de réponse: Economie - Publiée dans le JO Sénat du 10/02/2005 page 385.



Depuis mai 2004, l'AFNIC a assoupli ses règles pour l'enregistrement d'un nom dans le domaine internet " .fr ". Le nom enregistré est choisi librement par le demandeur, qui doit s'assurer que le terme qu'il souhaite utiliser à titre de nom de domaine ne porte pas atteinte aux droits des tiers, l'AFNIC n'exerçant plus de contrôle à ce niveau. La protection a priori dont bénéficiaient les noms des collectivités territoriales dans le domaine internet " .fr " a ainsi été supprimée en mai 2004, l'AFNIC ayant informé chaque collectivité territoriale par lettre en décembre 2003.