December 20, 2010

Un nom de domaine qui joue la montre


Qui se souvient de toywatch.fr ? Et qui se re-souvient de toywatch.fr ? Ce nom de domaine avait été à l'origine de deux procédures PARL, rejetées.
La troisième est la bonne pour la société italienne Cool Srl, titulaire des droits sur cette marque de montres, qui obtient du tribunal de grande instance de Paris le transfert des noms toywatch.fr et toy-watch.fr.

La première fois qu'un arbitre avait tranché, il avait estimé que le signe était utilisé dans le cadre de la liberté d'expression (mais aussi que les droits du requérant étaient incertains). Le second arbitre a ensuite fait sien l'argument de la liberté d'expression (sans toutefois sembler le partager). Quel a été l'avis du tribunal ?

Pour comprendre l'espèce, il faut indiquer au préalable que le nom était associé à une page où la marque était reproduite avec ce texte :
Ce message a été modifié ensuite, avec des informations plus précises sur les coûts de fabrication et les marges réalisées par le vendeur de ces montres. Dans les deux cas, le drapeau chinois était reproduit en marge.

Le tribunal estime que :

Les noms de domaine toy-watch.fr et toywatch.fr reprennent à l'identique le mot TOYWATCH, le trait d'union entre les termes "toy" et "watch dans un nom de domaine constituant une différence si insignifiante par rapport à la dénomination TOYWATCH qu'elle passe inaperçue aux yeux du consommateur moyen.
Ces noms de domaine sont utilisés pour l'exploitation d'un site internet sur lequel est reproduite à l'identique la marque semi-figurative "TOYWATCH telle que décrite ci-dessus.
Conclut-il pour autant à la contrefaçon ? Il retient l'argument du défendeur qui indiquait faire référence au signe à "des fins informatives", et conclut qu'il n'y a pas de contrefaçon : "l'enregistrement des noms de domaine litigieux et l'utilisation du signe "TOYWATCH" n'est pas une utilisation à titre de marque de la dénomination "TOYWATCH et du signe "TOYWATCH"".

Peut-on critiquer une marque en la citant ? Oui, cela a été très nettement affirmé dans les affaires ESSO et AREVA, dans lesquelles Greenpeace avait détourné leur logo sur son site. Toutefois, la liberté d'expression n'est pas absolue, et on ne peut en abuser, sauf à engager sa responsabilité.

Ici, le tribunal estime que le défendeur est allé trop loin :

La présentation de la marque "TOYWATCH" associée à un drapeau chinois et à un texte sous-entendant que la montre Toy Watch est produite à un prix dérisoire* alors qu'elle est vendue "à prix d'or" conduit à penser que toute montre Toy Watch est de mauvaise qualité et est vendue à un prix important uniquement parce qu'elle est portée par des personnalités rémunérées a cette fin par la société Toy-Watch.
De ce fait, Monsieur H. ne se limite pas à informer le consommateur sur le lieu de fabrication de la montre Toy Watch mais va, en raison de la généralisation qu'il induit sur l'ensemble de ces montres ainsi que de la forme et du contenu de son message, au-delà de la liberté d'expression permise en portant un discrédit sur l'ensemble des produits TOYWATCH de la société Cool S.r.l. Il commet ainsi des actes fautifs de dénigrement engageant sa responsabilité délictuelle.
Le tribunal ne s'arrête pas là. Alors qu'il n'y a pas de contrefaçon, il prononce le transfert du nom sur la base de l'article R. 20-44-45 du CPCE, estimant que "Monsieur Jean-Louis H. a enregistré les noms de domaine toywatch.fr et toy-watch.fr sans avoir un droit ou un intérêt légitime à faire valoir et n'a pas agi de bonne foi". Le tribunal s'appuie sur plusieurs éléments de preuve montrant que le titulaire des noms avait cherché à revendre les noms et à faire du chantage.
Pas de sanction sur le droit des marques, donc, mais sanction sur la base du décret. Il a déjà été relevé que l'existence de deux corps de règles créait le risque d'aboutir à ce genre de situation paradoxale (L. Marino, Un an de droit des noms de domaine, CCE 2008, chron. n° 11). L'article R. 20-44-45 renvoyant au choix du nom de domaine, on peut se demander si le tribunal pouvait se fonder sur des éléments postérieurs à l'enregistrement pour statuer comme il l'a fait.


L'ensemble de l'affaire se révèle être un véritable cas d'école, car toute la panoplie y est passée : procédure extrajudiciaire, nouvelle procédure extrajudiciaire, droit des marques, liberté d'expression, et règles administratives sur les noms de domaine.

[TGI Paris, 26 octobre 2010]

* On attend les protestations officielles de la République Populaire de Chine suite aux considérations que tient ici le tribunal qui juge au nom du peuple français !

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