La marque TRYBA, déposée pour des fenêtres, était utilisée par des concurrents dans des publicités AdWords.
Il est jugé qu'un déclenchement d'un lien commercial suite à la saisie de TRYBA (ou TRIBA) dans le champ de recherche du moteur n'est pas une reproduction de marque, et qu'il n'y a pas non plus d'usage de marque :
dès lors que les liens promotionnels affichés à la suite d’une recherche à partir des mots "Tryba" ou "Triba", ne reproduisent en aucune façon la marque "Tryba" mais qu’ils identifient clairement les enseignes KparK ou Techni-Fenêtres qui, en elles-mêmes, ne sont pas contrefaisantes puisque ni leur titre, ni leur description, ni l’adresse URL à laquelle elles renvoient ne reproduisent la marque "Tryba", le simple usage de cette marque protégée dans les mots clés, invisibles pour le consommateur internaute, ne génère aucun risque de confusion dans l’esprit de ce dernier qui ne peut pas être trompé sur l’origine des produits commercialisés et ne constitue en conséquence pas une contrefaçon de marque au sens des dispositions du code de la propriété intellectuelle.La fonction des marques est de désigner et d'identifier un produit ou un service. Le tribunal se place correctement à la place du consommateur, et constate qu'il ne peut y avoir d'usage d'une marque dès lors que rien ne permet de l'appréhender par les sens.
S'il n'y a pas contrefaçon, il ne faut toutefois pas en déduire qu'un annonceur peut librement utiliser les marques de ses concurrents pour produire ses propres liens commerciaux. Il reste fautif d'agir ainsi. En l'espèce, il est jugé que les sociétés défenderesses :
ont commis une faute constitutive d’actes de concurrence déloyale au préjudice [du demandeur].Ce dernier attendu est critiquable, car il devrait y avoir soit concurrence déloyale soit parasitisme, mais pas les deux ! Seul le premier grief aurait dû être retenu.
En outre, en cherchant par ce moyen à s’inscrire dans le sillage de la société demanderesse afin de profiter de la réputation et de la notoriété de la marque exploitée par elle pour faire connaître leurs propres produits, voire faciliter leur commercialisation, elles se sont rendues coupables de parasitisme.
Le tribunal se montre plus rigoureux dans son analyse de la situation de la régie publicitaire Google France :
La société Google France n’étant pas en situation de concurrence avec la société [demanderesse], elle n’a pas pu commettre personnellement des actes de concurrence déloyale.Il est en outre considéré qu'elle n'avait pas connaissance des agissements déloyaux des annonceurs, ni n'a provoqué ce comportement.
Le tribunal vise ensuite l'article 6 de la loi pour la confiance dans l'économie numérique. Ce fameux article s'applique aux hébergeurs, et prévoit l'exonération de responsabilité à certaines conditions. Google n'a jamais obtenu l'application à son profit de cet article... Ici, le juge écrit que l’application de ce régime exonératoire ne dépend "ni de la nature des signaux stockés (écrits, images, sons ou messages de toute nature...), ni de la fonction (commerciale, publicitaire, informative...) des données concernées".
A mon sens, il ne faut pas nécessairement lire cela comme qualifiant Google d'hébergeur, mais comme analysant les obligations d'un intermédiaire du commerce électronique à la lumière de l'article 6.
En effet, avant de citer cet article, le juge pose la question de savoir si Google France a eu un comportement fautif, lequel ne saurait consister qu'en :
une faute d’omission caractérisée par l’absence :La question posée était donc celle de l'obligation de contrôle a priori et son étendue, question qui se pose en termes identiques pour les hébergeurs. Il est tenu compte de l'existence d'un "protocole" ("mise en garde des annonceurs contre la sélection de mots clés pouvant porter atteinte aux droits des tiers, procédure de plainte, enquête, mesures prises pour mise en conformité de la situation, prévention pour éviter une éventuelle récidive"), et aussi de la réactivité de Google France dès notification de l'agissement illicite de l'annonceur.
- de contrôle préalable de la licéité des mots clés choisis par ses souscripteurs,
- de mesures empêchant ses souscripteurs de choisir des mots clés illicites.
On peut ne pas adhérer à cette qualification d'hébergeur. Le tribunal en semble conscient, qui ajoute :
à supposer que la société Google France ne puisse pas se prévaloir du régime dérogatoire de responsabilité prévu par la loi du 21 juin 2004 dans le cadre de son service AdWords, il appartiendrait encore [au demandeur] de démontrer qu’elle a commis une faute personnelle en lien direct de cause à effet avec le préjudice qu’[il] allègue.Ce second pilier paraît plus solide que le premier. On retourne aux fondamentaux de la responsabilité, pour exiger la réunion de ses trois conditions classiques : faute, dommage, et lien de causalité. Ici, la façon dont Google propose l'acquisition de mots-clef, avec mises en garde, moyens pour l'annonceur de vérifier les antériorités, etc. est considéré comme conforme à son obligation de diligence. Il n'y a donc pas de faute, partant pas de responsabilité.
On notera encore qu'est prise en compte la difficulté de la régie de connaître l'étendue des droits d'une personne autre que le titulaire d'une marque à utiliser cette dernière, en particulier dans le cas de licences ou autres conventions d'usage. Cela :
serait source d’insécurité juridique pour elle dès lors qu’elle prendrait le risque de se voir régulièrement assignée en Justice pour avoir interdit à tort à ses souscripteurs l’usage de certains mots clés par suite de sa légitime méconnaissance des conventions passées entre eux et les titulaires de signes a priori indisponibles car protégés.Google ayant déjà fait l'objet d'une procédure devant le Conseil de la Concurrence pour "refus d’accès au service de liens commerciaux Adwords", un tel risque n'est pas nul.
[Tribunal de grande instance de Strasbourg, 20 juillet 2007, à paraître sur la Gazette du Net]
* Le contentieux des mots-clef est au web 2.0 ce que les noms de domaine sont à l'internet 1.0 ;~)
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