Une récente ordonnance de référé semble donner une réponse positive - bien qu'elle ne soit pas très nette.
Une S.N.C. parisienne a pour dénomination sociale et marque "SUNSHINE". La marque est une marque semi-figurative, déposée depuis juillet 2001. La société demande en référé le transfert du nom de domaine sunshine.fr, enregistré depuis avril 2005. Elle assigne le titulaire du nom (André D.), le registrar chez qui ce nom a été enregistré (O.V.H.) et le registre (A.F.N.I.C.), et fonde son assignation sur l'article 809 du NCPC ainsi que l'article R. 20-44-45 du CPCE.
Pour mémoire, ce dernier texte est issu du décret de février 2007, et énonce : "Un nom identique ou susceptible d'être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi".
La société qui attaque estime qu'il existe un risque de confusion, qui justifie le transfert à son profit du nom. La personne attaquée réplique qu'elle a enregistré ce nom quelques jours avant la création d'une société Sunshine Productions, et qu'elle utilise ce nom dans le domaine de la photographie, alors que la demanderesse a enregistré sa marque pour des produits de la classe 25 (vêtements, dont "bottes, souliers et pantoufles") et a pour activité la vente au détail de prêt à porter féminin.
Parce qu'en l'espèce le risque de confusion ne relève pas de l'évidence, que la société en demande ne fait pas état d'un préjudice, le tribunal va considérer qu'il n'y a pas d'urgence, et donc pas lieu de statuer, d'autant que le défendeur est peut-être fondé à invoquer l'article R. 20-44-45 à son profit :
(...) alors que ce décret poursuit de toute évidence l'objectif de prévenir les comportements abusifs constatés dans la réservation et l'enregistrement des noms de domaine, M. D. ne peut se voir privé, aux termes exprès de l'article R.20-44-45, de la possibilité d'invoquer un droit ou un intérêt légitime, ou de faire valoir qu'il a agi de bonne foiLa juridiction vise donc le texte, ce qui revient à dire qu'il serait applicable. Elle observe toutefois que "la réservation du nom de domaine litigieux est intervenue à une date très antérieure à la promulgation du décret invoqué", sans tirer les conséquences de cette constatation : si le décret s'applique aux enregistrements en cours, c'est qu'il est, au moins en partie, d'ordre public (sur ce point : C. Manara, Le décret relatif à l'attribution des noms de domaine français, Dalloz 2007, p. 1740).
Tout cela pourrait laisser perplexe, mais il faut observer que les parties n'ont pas soulevé l'argument de l'impossible application du texte en l'état : le défendeur en a excipé pour dire qu'il a un droit et un intérêt légitime sur le nom litigieux et qu'il agit de bonne foi, et le registrar s'est également appuyé sur le texte pour dire qu'il ne lui appartenait pas de supprimer, bloquer ou transférer le nom, car seul le registre est habilité à le faire en application de l'article R. 20-44-49. Seule l'A.F.N.I.C. semble avoir cherché à élever le débat sur ce point, mais le tribunal a considéré que "la question incidemment relevée dans les motifs de ses écritures relative à l'application à son égard du décret n° 2007-162 du 6 février 2007 n'[avait] lieu d'être envisagée".
Au-delà de cette question, l'ordonnance laisse poindre les intéressantes questions qui viendront à être débattues au fond dans les futurs contentieux : la délicate interprétation dans de telles espèces de la notion de droit et d'intérêt légitime, et la façon dont le cadre règlementaire des noms de domaine vient déborder sur le droit de la propriété intellectuelle...
[TGI Paris, réf., 13 juillet 2007 - Ordonnance aimablement communiquée par Me Blandine Poidevin]
1 comment:
Au XXème siècle, l'affaire Alice concernait une situation similaire. Voir le commentaire de Yann Dietrich et Alexandre Menais sur Juriscom.
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