Je n'ai pas pour objectif de recenser ici l'ensemble des décisions relatives au .fr, extension de mon pays d'origine, mais celle relative à lesecho.fr mérite une mention particulière.
En effet, dans cette décision (DFR2005-0012) il a été considéré, entre autres, que "la réservation et l’exploitation du nom de domaine litigieux portent atteinte aux droits du requérant sur le titre Les Echos et ce, au titre des droits d’auteur qu’il détient en application de l’article L. 112-4, alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle".
Que dit cet article L. 112-4 ? Que "le titre d'une oeuvre de l'esprit, dès lors qu'il présente un caractère original, est protégé comme l'oeuvre elle-même" (sur la question, voir l'étude exhaustive de Laure Marino, Titres, Juris-Classeur Propriété littéraire et artistique, Fasc. 1158). La condition de son originalité est clairement posée. C'est sans relever qu'elle existait que l'arbitre s'est prononcé en l'espèce.
La décision permet dès lors de se poser cette question : appartient-il à l'expert de se prononcer sur l'originalité dans un tel cas de figure ? Les compétences de l'expert sont exprimées en termes généraux à l'article 17 du règlement sur la Procédure alternative de résolution de litiges du .fr par décision technique. Il est prévu qu'il doit faire droit à une demande lorsque l'enregistrement ou l'utilisation du nom de domaine par le défendeur constitue une atteinte aux droits des tiers (art. 20). Et à l'article 1, cette expression atteinte aux droits des tiers est définie comme "une atteinte (...) en particulier à la propriété intellectuelle (propriété littéraire et artistique et/ou propriété industrielle)". Bref, on tourne rond, sans pouvoir trouver à l'intérieur du règlement une solution claire à la question de l'éventuel pouvoir de qualification de l'expert.
Dans la procédure UDRP, des experts ont été critiqués pour avoir émis des doutes sur la validité de la marque du demandeur à l'action (cf. A. Bertrand, Droit des marques. Signes distinctifs. Noms de domaine, Dalloz, 2005). Il paraît logique de dire que les experts ne peuvent critiquer le droit sur une marque, qui est démontré de façon formelle par un titre (le certificat d'enregistrement de la marque).
Mais il est bien connu que l'acquisition de droits d'auteur se passe de formalités, son existence étant conditionnée par l'originalité. Si l'expert a pour mission de constater une atteinte à un droit de propriété littéraire et artistique, peut-il à cette fin caractériser qu'existe une telle propriété ? La réponse pourrait être positive s'il s'appuie sur une pièce du dossier constituée par une décision de justice se prononçant en ce sens (dans notre espèce, un jugement français statuant sur le fondement de l'article L. 112-4 pour dire que "Les Echos" est un titre original). Mais l'expert sort peut-être de son rôle s'il en vient à qualifier un titre d'original.
Dans cette affaire lesecho.fr, cela n'a aucune incidence : l'expert motive clairement sa décision en montrant en quoi il y a reproduction d'une marque, atteinte à une marque renommée, atteinte à la dénomination sociale, au nom de domaine, n'en jetez plus !
Bref, la référence au titre était superflue. Mais la décision présente l'intérêt de poser la question théorique de l'étendue de la compétence d'un expert en application des PARL.
Pour un point de vue différent, assimilant le titre à une marque d'usage, lire F. Bircker et B. Raibaud, Les Echos retentissent sur KLTE Ltd, Droit-TIC, 8 nov. 2005.
2 comments:
L'article L. 112-4 protège les titres selon 2 modes : celui de l'alinéa 1 implique effectivement une condition d'originalité : le titre est une oeuvre.
La protection de l'alinéa 2, notamment du fait de son interprétation (extensive) et son application par les tribunaux, est différente. L'alinéa 2 précise que :
"Nul ne peut, même si l'oeuvre n'est plus protégée dans les termes des articles L. 123-1 à L. 123-3, utiliser ce titre pour individualiser une oeuvre du même genre, dans des conditions susceptibles de provoquer une confusion."
La jurisprudence accorde sur la base de ces dispositions une protection aux titres qui ne sont pas nécessairement originaux mais dont la reprise génère un risque de confusion. On est pratiquement sur le terrain de la concurrence déloyale.
Merci Frédéric.
Je ne peux nier que la jurisprudence fait une interprétation très extensive de cet article protecteur du titre (pour une vue exhaustive, je renvoie de nouveau à l'étude de Laure Marino citée plus haut).
La finalité des décisions protégeant le titre sur le fondement du CPI est de sanctionner une reprise abusive de ce titre. Néanmoins, le fondement de l'article L. 112-4 est-il approprié ? Il serait plus sensé d'utiliser le régime de la responsabilité de droit commun.
Par ailleurs, l'alinéa 2 de l'article L. 112-4 utilisant les mots "ce titre", cette expression renvoie au titre défini à l'alinéa précédent, donc postule la condition d'originalité.
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