April 30, 2009

Utilisation par un affilié d'un nom de domaine similaire à celui de l'annonceur

La société Trokers exploite la plateforme d'intermédiation 2xmoinscher.com. Elle utilise cette dénomination en tant que nom commercial, et dispose de deux marques, l'une semi-figurative et l'autre verbale, reprenant ce vocable. En outre, elle est réservataire des noms correspondants en .net, .org, .biz et .fr (ainsi que de variantes).
Nous sommes mi-2006. Cette société constate que renvoient vers son site les noms 2xmoinschers.fr et 2moinscher.fr, qui pourtant ne lui appartiennent pas ! C'est la société Web Vision, affiliée de Cibleclick qui relayait les publicités de Trokers, qui utilisait ainsi ces noms de domaine. Après mises en demeures, Web Vision choisit de ne pas renouveler les noms de domaine (toutefois sans les transférer à Trokers, qui l'exigeait).
En mai 2007, cette fois c'est l'adresse 2xmoinscheres.com qui est utilisée de la même façon. Trokers change son fusil d'épaule, et demande à Cibleclick de faire cesser cette réorientation automatique. Le nom sera abandonné.
En décembre 2007, Trokers assigne en contrefaçon de ses marques, site, et titre de site, ainsi qu'en responsabilité délictuelle pour atteinte à ses signes distinctifs.

Le tribunal juge qu'il ne peut y avoir de contrefaçon de marque dans ce cas singulier de renvoi vers le site original :

la contrefaçon n'est réalisée que lorsque la dénomination litigieuse sert à désigner un produit ou service identique ou similaire aux produits et services désignés par la marque imitée et crée un risque de confusion avec ces derniers.
Or, en l'espèce, la société Web Vision n'a pas créé de site correspondant aux noms de domaine en cause mais utilise l'adresse URL uniquement pour réorienter les intemautes vers le propre site de la demanderesse.
L'usage qu'elle effectue de cette dénomination, ne peut ètre considéré comme un usage a titre de marque pour identifier ses propres produits et services et créer une confusion avec les produits ou services proposés par la société Trokers sous ses deux marques.
La réservation par la société Web Vision des trois noms de domaine litigieux et l'exploitation qu'elle en a effectuée, ne sont donc pas susceptibles de constituer des actes de contrefaçon des marques de la société Trokers.
Dans le même élan, comme le défendeur n'a pas copié le site, il est jugé qu'il ne peut y avoir de contrefaçon de celui-ci.

Quant au nom de domaine en l'espèce, il est jugé qu'il ne peut s'agir d'un titre protégeable en application de l'article L. 112-4 du code de la propriété intellectuelle : "les noms de domaine réservés par la société Web Vision ne sont pas des titres d'oeuvres de l'esprit mais des identifiants uniques liés à des entités dont les ordinateurs sont reliés au réseau Internet".

Quant à l'atteinte au nom commercial et aux noms de domaine 2xmoinscher.com, le tribunal observe :

L'activité de la société Web vision objet du présent litige, repose sur deux actions :
- la réservation de noms de domaine très proches de ceux de la demanderesse,
- l'affiliation au réseau créé par la société Cibleclick et la participation à son activité publicitaire en vue de percevoir des rémunérations.
La société Cibleclick a créé un réseau comprenant des annonceurs et des titulaires de sites Internet. Les annonceurs proposent des actions publicitaires que les titulaires de sites acceptent de mettre en oeuvre moyennant une rémunération. La société Cibleclick enregistre chacune des opérations (visite, formulaire, achat) effectuées auprès de l'annonceur par un visiteur du site de l'affilié et calcule la rémunération qui lui est due en fonction de l'activité générée au profit de l'annonceur.
La société Trokers a adhéré a ce réseau en sa qualité d'annonceur. La société Web Vision s'y est également affiliée. En orientant les internautes vers le site 2xmoinscher.com, il (sic) perçoit des commissions versées par la société Trokers par l'intermédiaire de la société Cibleclick.
Ainsi, la société Web vision capte le trafic généré par les internautes commettant des erreurs dans la saisie de l'adresse URL, du site de la demanderesse et s'inscrit ainsi dans son sillage. L'utilisation de ses propres noms de domaine n'est en effet que la conséquence de la volonté des internautes d'accéder au site de la demanderesse, et ne résulte pas d'une action propre de la société Web Vision et de l'interêt que susciterait celle-ci auprès des intemautes.
Ainsi, la défenderesse ne crée aucune valeur mais se contente d'exploiter, sans son accord, celle que la société Trokers a su conférer à son site par son savoir-faire et ses investissements.
Par ailleurs par son affiliation à la société Cibleclick, la société Web Vision va obtenir de la société Trokers 1e versement d'une rémunération alors que loin de la faire profiter de la fréquentation d'un site crée par la défenderesse, elle ne fait que lui "vendre" une fréquentation générée par son propre site 2xmoinscher.com.
Le fait que la société Web Vision réoriente les internautes égarés vers le site qu'ils voulaient consulter constitue un service que la société Trokers n'a pas demandé, que la société Web Vision ne peut lui imposer et pour lequel elle ne peut obtenir de sa part une rémunération à laquelle elle n'a pas consenti. Il convient au surplus de relever que la prestation de la société Web vision a une valeur propre très réduite puisque la plupart des internautes ayant commis une erreur seraient parvenus sur le site 2xmoinscher.com en procédant à une nouvelle
saisie de I'adresse URL.
II ressort de l'ensemble de ses éléments que la société Web vision s'est ainsi appropriée la valeur économique que la societé Trokers a su conférer à ses noms de domaine et la demanderesse a subi un prejudice tant matériel que moral tenant au versement par elle d'une rémunération injustifiée mais aussi à l'exploitation de ses investissement et de sa renommée largement établie par de nombreux articles de presse.
Au surplus, la société Web Vision en réservant des nonis de domaine très proches de ceux de la demanderesse puis en les abandonnant, a contraint la société 2xmoinscher.com à de nombreuses démarches afin d'en obtenir l'attribution et de supprimer ainsi ce risque de confusion volontairement créé par la défenderesse.
En revanche la société Web Vision ayant exclusivement utilisé les noms de domaine litigieux en vue de réorienter les internautes vers le site de la société 2xmoinscher.com il ne ressort pas de ces faits une atteinte spécifique au nom commercial de la société Trokers, les internautes moyennement attentifs n'ayant pas conscience de l'intervention de la société Web Vision.
En définitive, tombe une condamnation à 15.000 € de dommages-intérêts.

[TGI Paris, 2 avril 2009]

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