La société Auto IES se rend ensuite compte qu'elle s'est fait doubler : alors que l'assignation a été lancée, le nom a changé de mains, et a été transféré à une autre société (une telle manipulation n'est normalement pas possible dans les procédures extrajudiciaires, dans lesquelles le nom est automatiquement gelé ; on a vu aussi des procédures judiciaires être précédées d'ordonnance sur requête destinée à obtenir le gel du nom). Elle assigne donc l'autre société... mais sans renoncer à ses poursuites contre la première, ayant constaté que toutes deux avaient le même représentant en France et qu'il existait un lien direct entre les deux sites des sociétés.
La société Safenames explique qu'elle a agi en tant que registrar, pour le compte d'une de ses clientes, société étrangère ne remplissant pas les conditions d'obtention d'un nom de domaine français. Elle ajoute qu'elle a procédé au transfert une fois que cette société a eu un établissement en France.
Le tribunal estime que la présence de liens publicitaires est de nature à faire naître la confusion, et donc la contrefaçon :
La marque dénominative AUTO IES précitée étant enregistrée pour désigner des services de location avec option d’achat de véhicule, la reproduction de celle-ci pour désigner un site faisant de la publicité pour des sites offrant des prestations de vente d’automobiles constitue une contrefaçon en application de l’article L 713-3 a) qui dispose que sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s’il peut en résulter un risque de confusion dans l’esprit du public : a) la reproduction, l’usage ou l’apposition d’une marque, ainsi que l’usage d’une marque reproduite, pour des produits ou services similaires à ceux désignés dans l’enregistrement. Compte-tenu des données de l’espèce le risque de confusion est certain : le consommateur qui connaît le site de la société Auto IES qui propose la vente de véhicules automobiles sera entraîné à penser en voyant les liens commerciaux figurant sur le site "autoies.fr" que les sites présentés sont des partenaires ou des filiales de la demanderesse. D’ailleurs cette association entre le "titulaire" apparent du site et les bénéficiaires de liens commerciaux sont volontairement recherchés ainsi que l’indique le site Sedo qui les choisit "ciblés"’ dans le secteur concerné.Outre la contrefaçon, le tribunal suit le demandeur et considère qu'il y a usurpation de nom commercial et de noms de domaine.
Le tribunal va ensuite procéder à une partition des responsabilités, pour considérer que le premier des défendeurs était responsable jusqu'à la date de transfert du nom litigieux, et le second responsable à partir de ce nom.
Concernant le registrar, il est jugé que le whois le désigne responsable :
(...) La prestation qu’elle offre d’existence légale sur le territoire français à ses clients la fait apparaître aux yeux des tiers internautes comme l’éditrice des contenus des pages à l’adresse "autoies.fr" et ne lui permet pas de bénéficier du statut du "registrar" ; au contraire elle engage sa responsabilité pendant toute la période pendant laquelle elle agit pour le compte de son client qui n’est pas connu des tiers.Ensuite, le tribunal juge que, parce qu'il avait été mis en demeure et connaissait l'existence de droits d'un tiers sur le nom litigieux, "il lui appartenait de geler le nom de domaine en cause". Cela signifie-t-il que les registrars ne seraient plus neutres dans le cas d'un conflit entre un de leurs clients et un tiers qui revendique un droit antérieur ? Pas nécessairement. Il faut comprendre cela à la lumière du contexte particulier de cette affaire :
Le transfert de ce nom de domaine à la société Lantec Corporation postérieurement à la mise en demeure de la société Auto IES constitue à l’encontre de cette dernière une faute. La société Safenames Limited a manqué à son obligation de prudence en tant que "registrar" et ce d’autant que les droits opposés étaient incontestables de même que la contrefaçon et l’usurpation alléguées, le nom de domaine en cause reproduisant à l’identique la dénomination sociale et une marque de la demanderesse.Ce faisant, le tribunal pourrait sembler évoquer indirectement la décision de la Cour de cassation selon laquelle la faute contractuelle peut être invoquée par un tiers à qui elle a causé un préjudice - ce qui serait lourd de conséquences pour le fonctionnement de l'allocation des noms. Mais dans la mesure où il est fait référence à l'obligation de prudence du registrar, il ne semble pas que la faute reprochée au registrar trouve sa source dans les contrats organisant son activité.
TGI Paris, 22 novembre 2006 [Legalis]
No comments:
Post a Comment